Il est difficile de ne pas être interpellé par le vidéodocumentaire de 16 minutes diffusé par Pierre Poilievre sur les réseaux sociaux, cette semaine.

Le chef conservateur s’y donne le rôle d’un pédagogue qui décortique la crise de l’habitation en s’appuyant sur une avalanche de rapports, de données et de graphiques. À l’heure où les médias traditionnels sont bannis de Facebook, la vidéo a trouvé son public, avec plus de quatre millions de visionnements.

Mais ne soyons pas dupes. Sous ses airs journalistiques, cet exercice purement partisan vise à diaboliser Justin Trudeau et à mettre sur le dos des libéraux « L’enfer du logement », comme s’intitule la vidéo. Le ton est donné.

Soyons clairs : le manque d’accessibilité au logement est un problème majeur qui crée une grave iniquité intergénérationnelle. Mais il ne faut pas sombrer dans l’alarmisme, non plus. Des étudiants forcés de vivre dans des « refuges pour les sans-abri » ou de dormir « dans leur voiture ou même sous un pont », ce n’est pas la norme.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Le chef conservateur, Pierre Poilievre

Il ne faut pas non plus occulter des faits incontournables. Oui, l’endettement a explosé sous le règne libéral, ce qui a fait grimper les taux d’intérêt et les paiements hypothécaires. Mais c’est en majeure partie à cause de la pandémie, ce que M. Poilievre passe sous silence. Il ne dit pas non plus que, sans intervention fédérale, bien des propriétaires auraient perdu leur maison.

Taper sur le clou de la crise du logement est payant pour M. Poilievre.

Mais il faut croire au père Noël pour s’imaginer que l’immobilier – en ascension depuis plus de 20 ans – redeviendra accessible simplement en votant conservateur.

Il faudra du temps. Et des solutions. Or, celles de M. Poilievre pourraient se buter à un mur.

Le chef conservateur veut exiger des grandes villes qu’elles construisent 15 % de logements de plus par année, sans quoi elles seront privées des fonds fédéraux pour les infrastructures. Ottawa versera l’argent quand les gens seront dans leur maison, pas avant. « Au lieu de financer les promesses, le gouvernement fédéral devrait subventionner les résultats », clame M. Poilievre.

Le gros bon sens, non ? Si seulement c’était si simple.

Si Ottawa joue la ligne dure en retenant les fonds, les promoteurs auront plus de mal à financer et à démarrer leurs chantiers. Contre-productif.

Et puis, même si c’est une bonne idée d’imposer des cibles pour forcer les municipalités à réduire les obstacles qui freinent les mises en chantier, il ne faut pas oublier que l’immobilier est essentiellement de compétence provinciale. Alors l’autoritarisme de M. Poilievre ne sera sûrement pas le bienvenu à Québec.

Cet automne, on a vu comment les tensions ont retardé le versement de 900 millions au Québec, qui rechignait sur les cibles de logements à construire que le fédéral voulait imposer.

Cela dit, il est grand temps que la Coalition avenir Québec (CAQ) prenne au sérieux la crise du logement. Mais contrairement à l’Ontario et à la Colombie-Britannique, qui ont pris des mesures fortes pour pousser les villes à bâtir, la CAQ n’ose pas se mouiller.

Il est vrai que la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, vient d’ajouter un amendement à son projet de loi 31 pour permettre aux villes d’outrepasser leur propre règle d’urbanisme afin de changer le zonage pour bâtir plus de logements.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau

Mais cette mesure risque de faire chou blanc, car les maires qui veulent être réélus se rangent souvent du côté des citoyens qui contestent les projets, comme cela s’est produit à Pointe-Claire et à Saint-Bruno, où les maires ont bloqué une densification pourtant logique.

Pour stimuler véritablement la construction, Québec doit prendre ses responsabilités, au lieu de renvoyer la balle aux villes.

Entre la méthode autoritaire de M. Poilievre et le laisser-aller de Mme Duranceau, il y a une voie de passage permettant de se fixer des objectifs de construction ambitieux sans écraser la démocratie locale.

Pourquoi ne pas placer la participation citoyenne en amont du processus ? C’est ce que suggère le professeur émérite à l’INRS Mario Polèse1. Et c’est en quelque sorte ce que l’Ontario fait avec son système de délivrance de permis de planification communautaire2.

Au lieu de laisser chaque promoteur faire des demandes à la pièce pour revoir le zonage, ce qui multiplie les démarches et les délais, ce système permet aux municipalités de revoir les règles pour l’ensemble d’un secteur en mettant à profit la population. Par la suite, les permis sont délivrés en 45 jours pour les projets qui respectent les critères. En cas de mésentente entre un promoteur et des citoyens mécontents, un tribunal indépendant peut trancher, ce qui évacue les jeux politiques.

Pourquoi ne pas suivre ces traces et exiger que les municipalités se fixent des objectifs de construction pour répondre aux besoins du Québec de demain ? Pourquoi ne pas leur demander de préparer le terrain, en collaboration avec les citoyens ?

Que Québec agisse, s’il ne veut pas qu’Ottawa lui force la main.

La position de La Presse

Pierre Poilievre veut mettre les villes au pas, en passant par-dessus les provinces. À l’inverse, France-Élaine Duranceau veut donner plus de liberté aux maires. Et si Québec prenait enfin ses responsabilités ?

1. Lisez le texte de Mario Polèse 2. Consultez une entrée de blogue de l’Institut C.D. Howe (en anglais)