Ottawa ne peut pas continuer d’ajouter des dépenses sur la carte de crédit sans se soucier de la facture à la fin du mois.

C’est pourtant ce qui risque de se produire si le gouvernement libéral minoritaire – soucieux de respecter l’entente qui le maintient au pouvoir – cède à la demande des néo-démocrates de mettre sur pied un programme national d’assurance médicaments.

La pression a monté d’un cran depuis que les délégués du Nouveau Parti démocratique (NPD), réunis en congrès la fin de semaine dernière, ont voté à l’unanimité pour une résolution en faveur d’un programme universel, complet et entièrement public.

Pas de compromis. Pas de demi-mesure, comme couvrir seulement les 14 % de Canadiens qui n’ont pas déjà une couverture privée ou publique. Non, c’est la promesse néo-démocrate des dernières élections ou rien.

Mais voici le problème.

Le gouvernement ne peut pas repiquer seulement les pages de la plateforme électorale du NPD où il était question de bonifier les programmes sociaux sans retenir aussi les pages où il était question d’augmenter les impôts pour financer l’élargissement du filet social.

Rappelons qu’en 2021, le NPD avait fait des promesses de 209 milliards de dollars sur cinq ans, rien de moins. Une facture que leur chef Jagmeet Singh voulait éponger en faisant payer les « ultrariches ».

Au menu, il y avait notamment des hausses d’impôt pour les grandes entreprises et pour les particuliers gagnant plus de plus de 210 000 $. Il était aussi question d’imposer davantage le gain en capital, c’est-à-dire le profit réalisé lors de la vente d’un actif, comme des actions à la Bourse ou un triplex.

En réalité, ces mesures visaient bien plus large que les « ultrariches ».

Mais il est difficile d’imager la mise en place de programmes sociaux de grande ampleur, profitant à l’ensemble de la population, sans que la classe moyenne ait à sortir un cent de son portefeuille.

Sommes-nous prêts à payer plus d’impôt ?

Chose certaine, on ne peut pas tirer indéfiniment sur l’élastique du crédit, comme le gouvernement Trudeau l’a fait depuis son arrivée au pouvoir. Sous sa gouverne, le retour à l’équilibre budgétaire est devenu un mirage qui disparaît chaque fois qu’on s’en approche.

Depuis le dépôt du dernier budget, les dépenses ont encore gonflé de 28,6 milliards sur cinq ans, notamment avec les investissements dans la filière des batteries et la bonification du remboursement de la TPS pour les immeubles d’habitation locatifs, selon les récents calculs du Directeur parlementaire du budget (DPB).

À l’approche de la mise à jour économique de l’automne, Ottawa doit faire preuve de rigueur budgétaire dans un contexte où la récession nous guette et les taux d’intérêt pourraient rester élevés assez longtemps.

Ça fait toute une différence pour le gouvernement : les frais d’intérêt sur la dette vont doubler, de 25 milliards en 2021-2022 à 46 milliards en 2024-2025. À ce rythme, ça va prendre un bail avant de rembourser la dette pandémique !

Surtout si Ottawa ajoute d’autres dépenses récurrentes sur la carte de crédit… comme un régime d’assurance médicaments.

Remarquez, il y aurait de bonnes raisons de mettre en place un programme universel qui permettrait à tous les Canadiens de se procurer les médicaments essentiels à leur santé, sans gréver leur budget.

Un régime à payeur unique, où les factures seraient toutes payées par l’État, permettrait aussi de mieux négocier le prix des médicaments. Cela procurerait des économies annuelles allant jusqu’à 2,2 milliards, selon le DPB.

De plus, un régime unique mettrait fin une bonne fois pour toutes à l’iniquité dont sont victimes les assurés du privé qui paient leurs médicaments 18,8 % plus cher que ceux qui sont assurés par la RAMQ au Québec. C’est 750 millions de trop chaque année.

Sauf qu’en imposant un régime national d’un océan à l’autre, Ottawa piétinerait allégrement les platebandes des provinces qui ont déjà leur régime. En outre, il se priverait des sommes considérables que les employeurs injectent dans le régime d’assurance de leurs employés.

L’assurance médicaments au Canada est une mosaïque complexe qu’on ne peut pas redessiner en claquant des doigts. Une décision précipitée de la part d’Ottawa risquerait de déboucher sur un gaspillage de fonds publics.

C’est ce qu’on a vu avec la Prestation canadienne d’urgence (PCU), mise sur pied à toute vapeur durant la pandémie sans la surveillance adéquate. Des milliards ont été dilapidés, a constaté la vérificatrice générale.

C’est ce qu’on a vu aussi avec le programme d’assurance dentaire, une autre condition du NPD pour appuyer le gouvernement minoritaire. Le programme ficelé à la hâte ouvrait la porte aux abus, selon le DPB.

Mais cela n’a pas empêché Ottawa, dans son dernier budget, de poursuivre le déploiement du programme dont les coûts ont doublé, sans qu’on sache exactement comment il s’arrimera au programme qui existe déjà au Québec, pour éviter que les gens soient indemnisés en double.

La vigilance est donc de mise avec l’assurance médicaments qui pourrait coûter 13,4 milliards par année. Très loin d’une bagatelle. La dernière chose qu’on veut, c’est un programme de plus conçu en quatrième vitesse qui gonflera encore la carte de crédit d’Ottawa.

La position de La Presse

En soi, l’idée d’offrir un régime d’assurance médicaments à tous les Canadiens est noble. Mais Ottawa ne peut pas agrandir sans cesse le filet social sans augmenter les impôts pour en assurer le financement.