En décembre dernier, quand Isabelle Gagnon et Maxime Pilon voulaient aller à la salle de bains, ils devaient effectuer une petite opération préalable : revêtir un poncho de plastique ou ouvrir un parapluie. Pourquoi ? C’est bien simple : il pleuvait dans leur salle de bains. De l’eau brunâtre provenant d’une infiltration d’eau importante émanant du toit de l’immeuble dégouttait dans la pièce en permanence.

Pendant des mois, le couple, qui vit au troisième étage d’un immeuble de six logements, a vécu avec ces infiltrations d’eau. En décembre, le propriétaire a finalement envoyé des ouvriers pour « réparer » la fuite. Ils ont ouvert le plafond de la salle de bains et celui du couloir. L’eau s’est mise à pleuvoir encore plus fort dans la salle de bains.

« Le bruit de l’eau qui tombait dans les chaudières… c’était tellement fort que ça nous empêchait de dormir ! » Durant les Fêtes, la situation était à ce point critique que leurs assurances les ont relogés ailleurs temporairement. Ce n’est que le 29 janvier que le propriétaire, Karim Olivier Kamal, a finalement réalisé les travaux qui s’imposaient sur le toit. Des semaines après les premières infiltrations.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Même si le toit a finalement été réparé, le plafond de la salle de bains est toujours pourvu d’une bâche que le couple a bricolée lors des infiltrations d’eau.

Isabelle Gagnon et Maxime Pilon, 35 et 34 ans, occupent tous les deux de bons emplois. Mme Gagnon sera bientôt en congé de maternité : elle est enceinte de huit mois. Dans quel environnement débarquera ce bébé naissant ? Disons les choses franchement : dans un taudis. Oui, le toit a été réparé. Mais le plafond est toujours ouvert dans la salle de bains, avec une bâche de plastique que le couple a bricolée. Dans le corridor, le plafond est également percé d’un large trou, et le mur, attenant à la salle de bains, est couvert de moisissures.

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Le mur attenant à la salle de bains est couvert de moisissures.

Le balcon avant, attaqué par les écureuils, s’est en partie effondré l’été dernier : il a été condamné. « Les pompiers nous ont dit : n’allez pas là. » Le balcon est vermoulu, et même percé à certains endroits. Le couple a vécu pendant trois ans avec une fenêtre dont le cadre était troué, laissant entrer le froid et faisant exploser leur facture de chauffage l’hiver, et avec un calorifère bloqué au maximum toute l’année, y compris pendant les canicules de l’été.

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Les balcons avant de l’immeuble ont été condamnés au 3e étage. Leur état est manifestement pitoyable.

« On est plus que découragés », résume Mme Gagnon.

Mais à 900 $ par mois, leur appartement de cinq pièces et demie, situé à un jet de pierre du métro Verdun, est une aubaine désormais introuvable sur le marché montréalais. M. Pilon et Mme Gagnon occupent respectivement des emplois de mécanicien d’entretien dans un hôpital et de secrétaire médicale.

Mais si on se trouve un autre appartement, aux prix d’aujourd’hui, on ne pourra jamais économiser, on va être condamnés à être locataires toute notre vie.

Isabelle Gagnon, locataire

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Isabelle Gagnon et Maxime Pilon

Le couple a donc résolu de poursuivre Karim Olivier Kamal devant le Tribunal administratif du logement (TAL). La liste des compensations demandées fait une page et demie. « Il doit nous compenser. Ça n’a aucun sens de faire subir ça à une femme enceinte. » Le couple réclame, au bas mot, 30 000 $ en dommages.

Nous avons cherché à joindre Karim Olivier Kamal à de nombreuses reprises la semaine dernière. Malgré les messages vocaux, les courriels et les textos envoyés, il ne nous a jamais contactés.

Pas d’eau chaude, une salle de bains condamnée

L’arrondissement de Verdun confirme que son service d’inspection a procédé à plusieurs visites dans l’immeuble, pour les balcons vermoulus et les infiltrations d’eau. Un premier avis d’infraction a été envoyé au propriétaire le 6 septembre. Un mois plus tard, comme les travaux n’ont pas progressé d’un iota, on a envoyé une amende de 1667 $. Un second avis d’infraction a été envoyé le 10 novembre. Encore aujourd’hui, « l’ensemble des travaux demandés par l’arrondissement ne sont pas tous exécutés dans les logements », précise-t-on.

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Le plafond a été en bonne partie dégarni dans le couloir qui longe la salle de bains. Le mur jouxtant la pièce est constellé de moisissures.

Car le couple Gagnon-Pilon est loin d’être le seul à avoir des problèmes dans l’immeuble. Leur voisin du troisième, Sergio Franco-Soto, vit dans l’immeuble depuis 2021. Sa fenêtre de cuisine, brisée, laissait entrer l’air froid l’hiver. « J’ai dû placarder ça moi-même pour que le froid n’entre pas. C’était invivable. » Le balcon d’en avant menace de s’écrouler.

Si quelqu’un saute dessus [le balcon], c’est sûr que ça lâche.

Sergio Franco-Soto, locataire du même immeuble qu’Isabelle Gagnon

Le locataire du premier étage, Jason Bouchard, vit dans l’immeuble de la 2e Avenue depuis quatre ans. « Quand Karim Kamal a acheté, ça s’est vraiment détérioré », relate-t-il. M. Kamal a acquis l’immeuble de la 2e Avenue en 2021.

Jason Bouchard a par exemple attendu des mois qu’on change son réservoir d’eau chaude. « On pouvait passer une semaine de temps sans eau chaude. Ils essayaient de changer l’élément, de jouer dans le panneau électrique… ça ne marchait jamais. Ça sautait. Quand tu te lèves le matin et que tu prends ta douche, tu ne sais pas que ça a sauté. Tu prends ta douche à l’eau froide… »

Il y a deux ans, le propriétaire a réalisé des travaux dans sa salle de bains. « Il y avait carrément un trou dans le bain. Les ouvriers ont tout arraché dans la salle de bains. On a passé une semaine et demie sans salle de bains. Je me lavais au travail. Heureusement, il y a une douche ! »

Mais quand la nouvelle douche est arrivée, encore dans sa boîte, les ouvriers ont informé les locataires que leur loyer serait augmenté à cause du coût élevé de cette douche.

Ça faisait une semaine qu’on n’avait pas de douche, moi et mon conjoint. On a flanché. Ils nous ont augmentés de 60 $ pour qu’on ait droit à la douche.

Jason Bouchard, locataire du même immeuble qu’Isabelle Gagnon

Et maintenant, l’eau qui s’est infiltrée du toit, qui a coulé chez le couple Gagnon-Pilon, a aussi fait de nouveaux dégâts dans sa salle de bains. Depuis dix jours, lui aussi vit avec un trou dans le plafond. « On a patché ça avec un panneau en mousse qu’on a acheté au Dollarama. On n’aimait pas trop ça se laver avec un trou au-dessus de nous. On avait peur que des souris nous tombent dessus… »

  • L’eau qui s’est infiltrée au troisième étage a percolé jusque dans la salle de bains de Jason Bouchard, au premier.

    PHOTO FOURNIE PAR JASON BOUCHARD

    L’eau qui s’est infiltrée au troisième étage a percolé jusque dans la salle de bains de Jason Bouchard, au premier.

  • Cela a causé un effondrement du plafond dans son appartement.

    PHOTO FOURNIE PAR JASON BOUCHARD

    Cela a causé un effondrement du plafond dans son appartement.

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M. Bouchard et son conjoint, qui occupent tous les deux un emploi, ont eux aussi l’impression d’être prisonniers de leur logement. « On ne se cachera pas que le prix des logements est rendu astronomique. On n’y arriverait pas. C’est pour ça qu’on ne part pas d’ici, et qu’on s’accommode, dit-il. Mais on n’a pas à subir ça ! On est de bons locataires, on entretient notre logement, on fait attention. »