Pour gagner, il faut parfois donner l’impression à l’autre qu’il ne perd pas. Et au conseil national de Québec solidaire à Saguenay, tout le monde a eu l’impression de faire des gains. Ou, du moins, d’avoir évité les défaites.

La tension était palpable.

À l’entrée, une photo d’Émilise Lessard-Therrien avec un cœur rappelait sa démission en avril. Un livre était ouvert pour recueillir des témoignages, comme si le parti était encore en deuil.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

La co-porte-parole intérimaire Christine Labrie et le co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, devant une affiche remerciant Émilise Lessard-Therrien, samedi à Saguenay

Depuis quelques semaines, des militants blâmaient en partie Gabriel Nadeau-Dubois ainsi que son entourage pour le départ de la co-porte-parole féminine.

Le débat se personnalisait. M. Nadeau-Dubois l’a déplacé vers un autre sujet : l’avenir du parti.

Après avoir perdu des votes en région à la dernière campagne, QS avait lancé une tournée. C’était en 2023. Le parti n’a pas seulement consulté ses sympathisants. Il a aussi rencontré des intervenants de divers milieux, y compris des syndicats et des entreprises. Leur message : votre programme est trop long et compliqué. Et vous ne comprenez pas certaines réalités régionales, comme l’importance des industries forestière et minière dans nos communautés.

La réponse du parti est la « déclaration de Saguenay ». Elle a été rédigée avant la démission de Mme Lessard-Therrien. Des idées de la co-porte-parole s’y retrouvent d’ailleurs.

M. Nadeau-Dubois a devancé et intensifié le débat sur cette déclaration afin de détourner celui sur sa personne.

Lors de la tournée, QS s’était aussi fait dire que le milieu agricole, en pleine crise, n’avait pas besoin de se diviser au sujet du monopole syndical de l’Union des producteurs agricoles (UPA). La déclaration proposait donc de ne pas y toucher. Elle recommandait également d’inclure l’industrie dans la réflexion sur l’avenir de la foresterie.

Autre exemple : le programme, dont l’élaboration avait commencé en 2009, parle de désarmer la police. Lors de la dernière campagne, alors que les fusillades augmentaient à Montréal, des candidats trouvaient l’idée difficile à défendre…

Cela donne une idée du ménage à faire. Des analystes ont parlé de « recentrage », un mot honni dans ce parti de gauche.

Samedi matin, en huis clos, des militants déçus ont vidé leur sac. Plus tard en journée, une certaine méfiance demeurait.

« Il y a une crise, tout le monde le sait », a reconnu un militant au micro.

Des militants ne comprenaient pas quel statut donner à la déclaration de Saguenay. D’autres essayaient de la réduire au statut de « constat » des témoignages entendus en tournée. Ils ne voulaient pas qu’elle devienne une position du parti. Le militant syndicaliste André Frappier s’est approché du micro pour proposer cette interprétation.

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L’ancienne co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a reçu des fleurs pour son anniversaire, samedi à Saguenay

Sur le plancher, Manon Massé et d’autres s’activaient. M. Frappier a senti qu’il allait perdre le vote. Il a eu la sagesse d’abandonner sa démarche. « On va travailler ensemble », a-t-il dit, avant d’être applaudi.

Pendant que la population profitait d’un soleil radieux, des militants solidaires s’enfermaient dans une salle sans fenêtre pour débattre du fond et, souvent aussi, de la forme. La confusion n’était jamais loin.

La « modernisation » du programme faisait peur. Des militants craignaient qu’on le réécrive au complet. Pour les rassurer, le verbe « moderniser » a été changé pour « actualiser »…

Deux mois ont été ajoutés pour donner plus de temps à la révision du programme et de la plateforme. Ce travail sera terminé comme prévu avant la prochaine campagne électorale.

Mais sur le fond, tous les amendements de la gauche dure ont été rejetés. Au micro, on a entendu des voix qui n’existaient pas aux débuts de QS.

Une ingénieure forestière de Charlevoix, qui œuvre au public, a expliqué le fonctionnement du régime forestier et le rôle des petits entrepreneurs.

Une autre militante a rappelé que la gratuité du transport collectif était impensable pour les liaisons interrégionales en autobus.

Les nationalisations de « l’industrie du logement » et de la filière batterie ont aussi été rejetées massivement.

C’est cela que le parti avait en tête en parlant d’un programme de gouvernement applicable, et non d’idées théoriques formulées sans budget, échéancier ou plan minimal.

La direction du parti a été particulièrement habile avec l’UPA. En apparence, il s’agissait d’une défaite. Les militants ont refusé de voter pour la fin du monopole syndical. En fait, ils ont voté… pour ne pas se prononcer. Ils en ont toutefois reconnu l’importance pour défendre les agriculteurs.

Mais lisez bien la suite. La fin du monopole est seulement mentionnée dans la plateforme électorale. Contrairement au programme, cette plateforme est réécrite à partir de zéro avant chaque campagne. Donc si le parti ne fait rien à ce sujet, il ne promettra aucun changement. Ce qui équivaut au statu quo. Soit le maintien du monopole syndical. Exactement ce que propose GND…

L’exercice a toutefois démontré les limites de la formule de porte-parole. La représentante féminine intérimaire, Christine Labrie, a assuré qu’il n’y avait pas de contradiction entre le programme et la déclaration de Saguenay. C’est pourtant évident. Le premier souhaite « placer la grande industrie forestière sous contrôle public », en « envisageant au besoin la nationalisation complète ». Tandis que la deuxième reconnaît le « rôle central de l’industrie forestière ». Mais Mme Labrie doit attendre que les membres se prononcent sur le programme. En attendant, ses collègues et elle sont obligés de faire le grand écart.

N’empêche qu’au terme de ce conseil national, le parti dans son ensemble ressort gagnant. La crise a assuré une précieuse visibilité à cette déclaration, qui aidera QS à élargir ses appuis. Ou, pour citer M. Nadeau-Dubois, à « parler aux gens convaincus, mais aussi aux gens convaincables ».