Cela me fait penser à la stratégie de l’écureuil, qui accumule méthodiquement (ou compulsivement ?) les noisettes pour être certain de ne pas en manquer une fois l’hiver venu.

La Ville de Montréal fait la même chose avec les bâtiments.

Depuis l’élection de Valérie Plante à la mairie en 2017, la Ville a acheté une trentaine d’immeubles destinés à être convertis en logements sociaux ou abordables. Une enveloppe de 600 millions de dollars sur 10 ans a été réservée à ces acquisitions.

Le plan est ambitieux, mais les résultats se font toujours attendre. La plupart des bâtiments achetés avec des fonds publics demeurent vacants et moisissent dans l’attente d’éventuels projets.

Une situation difficile à avaler pour les Montréalais, confrontés à une crise du logement historique.

Un exemple pathétique me saute aux yeux toutes les semaines : celui de l’ancien Hôpital chinois de Montréal, rue Saint-Denis, dans le quartier Villeray.

La Ville a payé 4 millions en 2019 pour racheter l’imposant bâtiment de briques rouges, avec l’objectif d’y construire une quarantaine de logements sociaux.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’ancien Hôpital chinois de Montréal, rue Saint-Denis, dans le quartier Villeray

Les mal-logés du quartier, et ils sont nombreux, avaient applaudi la transaction. D’autant plus que l’immeuble vide se cherchait une vocation depuis 1999, lorsque les activités de l’hôpital avaient été transférées vers le Quartier chinois.

Tout le monde a déchanté depuis.

La conversion en logements, confiée au ROMEL, un organisme à but non lucratif (OBNL), est dans un cul-de-sac.

Le groupe a échoué à obtenir un financement provincial dans le cadre du défunt programme AccèsLogis. Il ne s’est pas non plus qualifié au nouveau Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ) ni à une subvention fédérale offerte par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), m’a résumé Mazen Houdeib, directeur du ROMEL.

Ce sont des fonds qui viennent de plusieurs sources, et ils ont tous des critères différents. Ils ne sont pas tous compatibles. C’est une vraie gymnastique.

Mazen Houdeib, directeur du ROMEL

Des montagnes de paperasse ont été remplies, des tonnes d’énergie ont été gaspillées, mais cinq ans après l’acquisition, rien n’a bougé.

Le cas de l’Hôpital chinois illustre les limites de la stratégie déployée par la Ville de Montréal.

Comme je l’écrivais plus haut, l’administration Plante a consacré 600 millions en fonds publics pour acheter des bâtiments vacants et des terrains. La Ville utilise entre autres son droit de préemption pour mettre la main sur des immeubles intéressants, dans le but de les retirer du marché « spéculatif ».

Ils sont mis en réserve pour être revendus à bon prix à des promoteurs, comme des OBNL, qui y feront du logement social ou abordable.

Prévoyant, responsable : un bon plan, sur papier.

Mais voilà : cette stratégie est tributaire du financement des ordres supérieurs de gouvernement pour passer à l’étape de la construction. Ces investissements sont loin d’être à la hauteur des besoins, et rien ne pointe vers un changement de cap à court terme.

Dans ce contexte, une question mérite d’être posée.

La Ville devrait-elle ralentir la cadence des acquisitions et rediriger une partie des 600 millions de son enveloppe pour construire elle-même des logements, à très court terme, dans certains de ses nombreux bâtiments vacants ?

Réponse de l’administration : peut-être.

Entendons-nous : la Ville n’a pas l’intention de cesser de faire des acquisitions. Mais elle est en ce moment en train de revoir toute sa stratégie immobilière, m’a indiqué Benoit Dorais, responsable de l’habitation au comité exécutif.

L’administration veut « cartographier le chemin des possibles pour chacun des bâtiments » vacants ou excédentaires dont elle est déjà propriétaire.

En termes moins fleuris : elle souhaite identifier une vocation pour ces immeubles d’ici la fin de l’année 2024.

Ce serait déjà un bon début.

Plusieurs possibilités sont « sur la table » pour la suite, m’a dit Benoit Dorais. Ce qui pourrait inclure la prise en charge de certaines constructions par la Ville elle-même.

Les prochaines acquisitions faites par la Ville seront par ailleurs mieux « adaptées » aux nouveaux programmes de financement provincial, comme le PHAQ, m’a-t-il affirmé. L’idée étant de pouvoir passer très vite en mode construction, plutôt que de s’asseoir pendant des années sur une propriété.

Un grand ménage s’impose plus tôt que tard, c’est l’évidence.

La liste des bâtiments vacants ou « excédentaires » détenus par la Ville, plus de 70 au total, donne le tournis. Plusieurs sont dans un très mauvais état et considérés comme insalubres.

J’ai obtenu à la mi-mars le détail de toutes ces propriétés, entre autres des incinérateurs, des églises, des garages, des bureaux, même des étables et un caveau à légumes ! L’entretien minimal et le chauffage coûtent déjà une fortune, sans même qu’un seul logement soit construit.

J’ai hâte de voir si la Ville sera bel et bien capable de « cartographier » les destinées de tous ces immeubles d’ici la fin de l’année, comme l’a laissé entendre Benoit Dorais. J’ai quelques doutes, vu la lenteur exceptionnelle qu’elle a mise à répondre à mes questions très simples sur le seul Hôpital chinois. Ou ses difficultés à me dire combien d’argent a été dépensé à ce jour, dans l’enveloppe d’acquisition de 600 millions…

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Vue aérienne de l’îlot Voyageur, à l’angle du boulevard De Maisonneuve et de la rue Berri

À court terme, le grand test sera la conversion de l’îlot Voyageur en énorme projet résidentiel1. L’administration Plante a essuyé plusieurs critiques (justifiées) en raison de sa lenteur à bouger dans ce dossier. Mais si les promoteurs se manifestent, après l’appel d’offres lancé le mois dernier, cela pourrait marquer un tournant dans la manière de redévelopper des sites désaffectés à Montréal.

Ce projet semble presque condamné à réussir. Car la patience des Montréalais, autant celle des contribuables surtaxés que celle des mal-logés, est étirée au maximum.

1. Lisez l’article « Montréal met en vente l’îlot Voyageur avec plusieurs conditions »