Lundi, ce sera le 55e anniversaire du premier bed-in de John Lennon et Yoko Ono, qui s’est déroulé du 25 au 31 mars 1969 à l’hôtel Hilton d’Amsterdam. Le couple, qui venait de se marier cinq jours plus tôt, avait décidé de faire de son voyage de noces une croisade pour la paix, The Ballad of John and Yoko.

Drove from Paris to Amsterdam Hilton
Talking in our beds for a week.
The news people said,
Say what you’re doing in bed,
I said we’re only trying to get us some peace…

À l’époque, rien n’est plus gros que les Beatles. Les Beatles, c’est Taylor Swift fois quatre fois quatre millions. Ils n’avaient pas seulement composé de grandes chansons, rempli pour la première fois de l’histoire du rock des stades immenses, vogué de succès en succès, ils avaient influencé la jeunesse du monde entier. Elle se faisait pousser les cheveux comme eux. Elle portait des chemises à fleurs comme eux. Elle expérimentait les substances planantes comme eux. Mais surtout, elle croyait que tout ce dont elle avait besoin, c’était d’amour, comme eux. Les Beatles ont changé le monde, de la longueur des cheveux à la profondeur des cerveaux.

Ce furent les plus grands influenceurs de la culture populaire. Tellement qu’ils le sont encore. Aujourd’hui, le terme influenceur a mauvaise presse. On l’assimile au côté superficiel de la renommée. On peut influencer de tous les côtés. Côté matériel, côté spirituel.

John et Yoko savaient bien que leur mariage allait être un cirque médiatique. Ils ont décidé d’être les maîtres de la piste. Ils ont envoyé un carton d’invitation aux reporters : « Venez rejoindre John et Yoko durant leur lune de miel : un bed-in à l’Amsterdam Hotel. »

Plusieurs médias croyaient qu’ils filmeraient John et Yoko en train de faire l’amour. Ils les ont plutôt filmés en train de faire la paix. Et comment fait-on la paix ? En en parlant paisiblement. Pas le poing levé, mais le cœur étendu.

Leur mise en scène leur a permis d’avoir l’attention des médias durant une semaine, pour les entendre dire et répéter : « Arrêtons la guerre, faisons la paix. »

S’ils avaient tenu une conférence de presse traditionnelle pour transmettre leur message, les médias s’y seraient intéressés une heure ou deux. À l’époque, il n’y avait pas de réseaux sociaux, si on voulait joindre le public. Si on voulait le nourrir de nos histoires, de nos stories, tout passait par les médias. Il fallait donc imaginer une story dans laquelle journaux, radios, télés allaient embarquer. Lennon était bon pour imaginer. Ono, aussi. Dans ce concept, c’est elle qui a exercé une grande influence sur la légende de Liverpool.

Un homme, une femme au lit, c’est attirant. Les salles de presse n’ont pas pu résister.

Le bed-in fut la plus longue conférence de presse jamais tenue par des artistes. Durant une semaine, huit heures par jour, la presse pouvait poser au couple, dans le lit nuptial, toutes les questions qu’elle voulait. John et Yoko répondaient toujours en mentionnant la paix. C’était leur but : que la paix soit avec nous, aussi médiatisée que la guerre. Ça a marché.

Tellement que John et Yoko ont refait le coup, deux mois plus tard, à Montréal, les États-Unis refusant à Lennon d’entrer dans leur pays à cause d’une condamnation pour possession de cannabis. En réalité, ce que le FBI reprochait vraiment au Beatle à lunettes, ce n’était pas de fumer du pot, c’était de fumer le calumet de paix. Un militant antiguerre, ça dérange.

Si certains commentateurs n’ont jamais pris le bed-in au sérieux et n’y ont vu que le trip personnel de deux ego en pyjamas, les autorités n’ont jamais minimisé l’influence que John Lennon avait sur les consciences. Sa façon de manifester avait beau être totalement pacifique, elle était dangereuse. Elle incitait les gens à préférer la paix à l’État, qui en devenait moins uni.

Au bout du compte, à quoi le bed-in a-t-il servi ? Ni plus ni moins à donner un espace au mot « paix ». Les Américains se sont désengagés de la guerre du Viêtnam, quatre ans plus tard. Face à la pression populaire, le coût politique de ce conflit devenait trop lourd. Le coût politique est toujours plus pesant que le coût humain, que le poids des vies perdues.

Toutes les voix qui ont contribué à réclamer la paix ont aidé à l’obtenir. Celles de John et de Yoko en font partie.

Le refrain de la Ballad of John and Yoko est le suivant :

Christ! You know it ain’t easy,
You know how hard it can be.
The way things are going,
They’re gonna crucify me.

Lennon s’est fait tuer. Pas pour ses convictions, comme tant d’autres. À cause d’un déséquilibré qui l’admirait tellement qu’il voulait que son nom soit à jamais lié à celui de son idole. On ne le nommera surtout pas ici.

L’auteur-compositeur-interprète de Give Peace a Chance est mort comme on meurt à la guerre, à coups de fusil. Abattu en pleine rue. En pleine vie.

Son influence lui survit.

Quand l’horreur frappe, qu’un attentat survient, qu’un conflit éclate, c’est avec sa chanson Imagine qu’on essaie de se consoler, qu’on essaie de retrouver une parcelle d’humanité.

La ballade de John et Yoko est la story de deux influenceurs qui ont mis en scène leur vie pour nous donner envie d’être meilleurs.

En espérant que ces influenceurs d’hier influencent les influenceurs de demain.