La pénombre qui s’installera le 8 avril prochain réveille une vieille peur tapie dans notre humanité.

Imaginez ici les frayeurs de nos ancêtres lointains avant la domestication du feu. Exposés aux prédateurs nocturnes qui pouvaient les pister dans l’obscurité, ils ne devaient pas avoir un sommeil toujours aussi détendu que dans nos bungalows.

Dans les temps anciens, cette peur ancestrale de la pénombre a amené l’Église catholique à diaboliser des créatures nocturnes en les associant au terrifiant monde des ténèbres. Les chats, les loups, les chauves-souris, les hiboux et bien d’autres bêtes ont goûté à cette médecine cléricale, une discrimination animalière qui se perpétue encore dans notre imaginaire collectif.

Dans les contes qu’on lit à nos enfants, le loup n’est-il pas la méchante et vicieuse créature qui mange des grands-mères ? La chauve-souris ne traîne-t-elle pas également une réputation de proximité avec le monde des esprits maléfiques ?

Si en plus la bête ciblée était d’une couleur qui rappelle celle de la pénombre, les préjugés à son égard étaient décuplés. Les chats noirs et les corbeaux qui abondent dans les décors d’Halloween nous rappellent cette diabolisation sélective. A contrario, la blanche colombe symbolise la paix et porte une aura de pureté.

Cela dit, pour ne pas faire dévier ma chronique vers les origines de la discrimination raciale, je vais laisser de côté ces biais systémiques tapis dans les coins sombres de notre humanité et revenir au soleil qui, comme disait ma grand-mère, n’arrête jamais de briller au-dessus d’un village parce qu’il est petit.

Si autrefois, perdre l’astre lumineux pendant une éclipse était très anxiogène, aujourd’hui, la science arrive à prévoir avec justesse la date, l’heure, l’endroit sur la planète et le temps que durera un tel épisode.

Oui, même si elle subit encore les assauts de fanatiques religieux et autres zélés du mouvement complotiste semblables aux exaltés de la théorie géocentrique qui avaient pourchassé Galilée, c’est la science qui a chassé ces vieilles peurs. Avant qu’elle nous gratifie de ses lumières, les humains, épouvantés par les éclipses, les tonnerres, les éclairs, la foudre, la pénombre et bien d’autres phénomènes qu’on croyait surnaturels, se rabattaient sur la superstition pour calmer leurs angoisses.

Le mot « éclipse » dériverait d’ailleurs du grec « ékleipsis », qui traduit l’action d’abandonner ou de déserter. En cause, devant un tel phénomène cosmique, les Grecs se croyaient injustement délaissés par leurs divinités. Dans les temps très anciens, sacrifices et incantations étaient au cœur des rituels destinés à ramener le soleil.

En Chine, on attribuait la disparition imprévue de l’astre à une sorte de dragon cosmique. Pour sortir le soleil des griffes de la bête maléfique, il fallait faire beaucoup de bruit en tapant sur des tambours. Des flèches étaient également décochées en direction du soleil pour forcer la méchante bête à lâcher sa prise. Les Incas qui vénéraient le Dieu-Soleil voyaient les éclipses comme des signes de malédiction imminente. Ici aussi on pensait qu’une force surnaturelle cherchait à dévorer Inti, le Dieu-Soleil.

Même si ces explications simplistes nous font rire aujourd’hui, le caractère anxiogène d’une telle disparition du soleil est tout à fait justifiable à cause de son irremplaçable rôle dans notre existence.

Au début de la vie, il y a le soleil, mais aussi la présence d’eau liquide que nous devons à une loterie cosmique gagnante. Je parle ici du hasard astral qui a placé la Terre dans cet étroit couloir du système solaire propice à l’existence de l’eau à l’état liquide. Le regretté Hubert Reeves aimait bien rappeler qu’à l’échelle cosmique, l’eau liquide était plus rare que l’or.

Un autre hasard a voulu qu’un jour, le mélange d’eau, de soleil et d’autres ingrédients présents dans la biosphère accouche de la photosynthèse. Cette grande compétence que se partagent les organismes chlorophylliens terrestres et aquatiques peut être comparée à une fabrique de bouchées de soleil pour la vie animale.

En effet, ces organismes photosynthétiques captent l’énergie lumineuse du soleil pour la mettre en réserve sous une forme chimique dans les aliments que nous mangeons et les combustibles que nous utilisons. Certains biologistes aiment d’ailleurs présenter les animaux comme des consommateurs d’énergie solaire en conserve. Ce qui veut dire que la réclame publicitaire qui offrait des bouchées de soleil pour déjeuner n’était pas si scientifiquement déconnectée de la réalité.

Aussi, lorsque nous mangeons des animaux terrestres et aquatiques, nous avalons indirectement de l’énergie solaire en canne, comme on dit en bon québécois. En effet, les plantes et le phytoplancton sont à la base des chaînes alimentaires terrestres et aquatiques. Autrement dit, ils représentent les fondations sur lesquelles repose la vie animale. Alors, ceux qui considéraient le soleil comme une divinité avaient vu très juste.

Ma grand-mère disait que si l’eau et le soleil sont si présents dans les rituels de l’humanité, c’est parce que nous leur devons à la fois la vie et la mort. À juste raison, car la vie commence dans une mer utérine qui s’appelle le liquide amniotique et, dans le langage populaire, mourir c’est perdre son soleil intérieur et devenir un froid cadavre.

Le soleil brille en nous et rythme la biosphère. Quand il apparaît le matin, beaucoup d’animaux semblent chanter ses louanges pour le remercier d’être revenu. Chaque animal ou végétal a son rythme circadien dicté par l’alternance entre le jour et la nuit. C’est la raison pour laquelle des scientifiques braquent leur regard sur les zoos pour noter comment leurs locataires vont réagir à l’éclipse du 8 avril. Cependant, la plupart des observations resteront anecdotiques, car il faudra attendre d’autres éclipses pour vérifier si la chose se répète et oser en faire une vérité scientifique.

Les animaux diurnes craignent-ils les éclipses ? Personne ne le sait. Chose certaine, la peur est un système d’alarme qui sommeille dans la génétique du monde animal.

Aussi, en l’absence de véritables frayeurs, l’humain en invente ou en exagère d’autres. Si l’intensité des réponses de notre corps varie selon la nature du stimulus effrayant, la séquence des réactions physiologiques provoquées par une peur est la même.

Autrement dit, la crainte démesurée qui amène des décideurs scolaires à fermer les établissements n’est pas très loin de celle des anciens qui essayaient de libérer le soleil d’un kidnapping céleste. Oui à la prudence ! Mais la mélanger à la pédagogie est encore meilleur pour les enfants, car la connaissance a toujours été l’antidote de la peur.

Je vous recommande d’ailleurs fortement le livre de Joël Leblanc et Julie Bolduc-Duval qui est tout récent. Il s’intitule Éclipse : quand le Soleil fait son cirque. Une belle et pédagogique lecture pour toute la famille d’ici le 8 avril.