Ce n’est pas une campagne pour la direction, c’est une offre d’achat hostile.

Denis Coderre n’est pas réputé pour ses idées, mais il sait flairer les opportunités professionnelles. Il n’y a pas si longtemps, ce politicien de carrière disait ne pas vouloir se lancer au provincial après avoir tenté sa chance au fédéral et au municipal. « On ne peut pas manger à tous les râteliers », disait-il. Mais finalement, une aubaine a aiguisé son appétit. Jamais le Parti libéral du Québec (PLQ) n’a paru en si mauvais état. Il récolte à peine 8 % des intentions de vote chez les francophones.

Mais le PLQ n’est pas une marque finie, loin de là. Si le PQ a rebondi, lui aussi le peut. C’est moins une question de « si » que de « quand ».

M. Coderre voit une marque avec du potentiel et presque libre à prendre. Un seul candidat à la direction s’est manifesté : le député Frédéric Beauchemin, ex-chef des marchés des capitaux au Québec de la Banque Scotia.

M. Coderre ne voit pas d’autres prétendants. Alors il s’empresse de faire connaître son offre et il prend tous les moyens possibles pour décourager les autres. À la fin janvier, il incitait ses possibles rivaux à passer leur tour, en disant qu’il serait un chef de transition. Son message : circulez, ça ne vaut pas si cher en ce moment, et de toute façon, c’est à moi.

Il est vrai que quelques jours plus tard, il disait exactement le contraire. Mais c’est justement la stratégie de son opération. Elle se résume en un mot : éclipse.

À la quasi-annonce de sa candidature, même les libéraux sceptiques se convainquaient que c’était une bonne nouvelle. Selon eux, l’arrivée de M. Coderre inciterait d’autres personnes à se lancer. Mais l’inverse pourrait aussi se produire. C’est à cela que travaille activement M. Coderre.

Quand on essaie de faire le ménage dans son torrent de propos confus et contradictoires, une stratégie étonnamment simple se dégage : trouver le sujet le plus populaire auprès des médias, dire n’importe quoi pour attirer l’attention puis changer d’idée quelques jours plus tard au besoin.

Cela lui permet d’occuper tout l’espace médiatique. Et en même temps, il envoie un message : si vous voulez vous lancer dans la course, ne pensez pas que ce sera un beau débat.

Quelques conditions de base sont requises pour débattre. L’adversaire doit argumenter sa position au-delà des slogans qui riment et la maintenir au moins jusqu’au lever du soleil avant de dire le contraire. Et aussi, si possible, donner l’impression de vouloir dire à peu près la vérité. Ce n’est pas le style Coderre.

Plus d’un mois après avoir annoncé ses intentions, il n’avait pas encore lu le rapport sur la relance du PLQ. Il invoque des raisons médicales, mais il aurait pu s’en faire résumer le contenu.

Le message du rapport, qui résulte d’une consultation auprès des militants de tout le Québec : le PLQ ne peut plus se contenter d’être simplement le parti de ceux qui craignent l’indépendance. Or, M. Coderre centre désormais sa précampagne sur la peur d’un référendum. C’est la raison de son retour en politique, prétend-il. En fait, c’était surtout la stratégie pour passer à la télé au lendemain de sondages annonçant l’avance du PQ. Il y a un mois, il en parlait à peine.

Il dit qu’il maintiendrait la Loi sur la laïcité et renouvellerait la disposition de dérogation. En janvier, il voulait laisser les tribunaux trancher.

Il se dit maintenant favorable à un troisième lien routier entre Lévis et Québec, sans préciser le tracé, alors que son parti défend officiellement le contraire.

Depuis sa défaite à Montréal en 2021, M. Coderre a écrit beaucoup de choses sur les réseaux sociaux. Certaines étaient gênantes. Par magie, tout ça a été effacé cette semaine, tant sur Twitter que sur Facebook. Il dit avoir été piraté. Le pirate a toutefois eu la délicatesse de garder ses publications de précampagne faites depuis le 1er février. Cela ressemble à l’élève qui dit que son chien a mangé son devoir.

Sur les cocktails de financement, il a aussi parlé avec une stupéfiante absence de gêne. M. Coderre n’affirme pas seulement qu’un ministre peut y participer, ce qui se défend. Il affirme que c’est une excellente chose qu’un ministre incite des gens à contribuer au parti en échange d’un entretien sur leur dossier. Si les libéraux veulent rappeler le souvenir du scandale des commandites, ils ne feront pas mieux.

Pendant ce temps, les députés du PLQ travaillaient avec rigueur à l’Assemblée nationale. Ils ont proposé un plan sur le logement et trouvé une solution aussi à l’attente inhumaine pour la réunification familiale en immigration.

Mais M. Coderre était heureux d’occulter ce travail. Il a la réputation d’agir en solo, sans écouter son équipe, et le caucus en a sans doute pris note. À cela, M. Coderre répond : si ce parti vaut tant, pourquoi n’appuyez-vous pas Frédéric Beauchemin et pourquoi n’y a-t-il pas d’autre candidat ?

Son offre d’achat hostile pourrait devenir malgré tout irrésistible pour un parti qui ne demande qu’à revenir au cœur des débats, pour le meilleur comme pour le pire.