Malgré mes 52 ans bien sonnés, j’essaie de garder un esprit ouvert face aux phénomènes qui n’existaient pas dans mon jeune temps. Qu’il s’agisse des influenceurs, des toilettes non genrées ou encore des gens qui font des Zoom sans écouteurs dans la file du Jean Coutu, je tente d’être de mon temps.

Je réussis, la plupart du temps. Sauf pour les gens qui font des Zoom sans écouteurs dans la file d’attente du Jean Coutu.

Pour la bouffe, c’est un peu la même chose : l’homme des cavernes en moi aime son steak tomahawk médium saignant, mais je ne suis pas anti-végé. Une protéine végétale bien apprêtée peut être délicieuse (juré) et nutritive (si, si).

On dira que je suis un réactionnaire rétrograde (pardonnez le pléonasme), mais là où je suis complètement fermé d’esprit, c’est sur les insectes. Je ne mangerai jamais de bibittes.

Car il y a une mode qui veut nous faire bouffer des insectes parce que les insectes seraient nutritifs et seraient un remplacement idéal de la protéine animale en ces temps de réchauffement climatique qui, comme chacun le sait, est aggravé par l’élevage animal.

Dans La Presse, lundi, il y avait justement un article de ma collègue Sara Champagne sur les espoirs d’un entrepreneur de la protéine entomologique, article coiffé d’une photo affriolante (un gros plan de larves de ténébrions meuniers, miam) et d’un titre-question (À quand des insectes dans les épiceries québécoises ?).

Réponse d’un consommateur (moi) : vous aurez beau m’en offrir, du pain tranché aux grillons, de la tartinade à l’ail à base de vers de farine ou des ténébrions moulus à smoothie, je n’en achèterai jamais, ja-mais.

Ayant un pied et demi dans les médias électroniques, chaque année (ou presque), les équipes de recherche m’arrivent avec l’idée d’inviter un de ces gastronomes de la bibitte pour que je puisse essayer des grillons séchés au BBQ et donner mes réactions à chaud avec l’auditoire…

Ma réponse est toujours la même : les grillons, c’est non.

Juste y penser me fait lever le cœur. Je n’ai aucune envie d’imposer mon réflexe nauséeux (sonore ou visuel) au grand public.

Je sais, je sais : ce dégoût serait dans nos têtes, les insectes sont riches en nutriments de toutes sortes, de super aliments, une solution de rechange idéale à la viande. Je cite Alexis Fortin, de TriCycle, une jeune pousse montréalaise de l’entomoculture, au cœur du papier de Sara : « Il y a encore une barrière psychologique tenace envers les insectes. On pense que c’est sale. Il faudra compter encore une dizaine d’années avant de bien les intégrer à notre alimentation. Mais il y a de la place pour des recettes… »

Mais la répulsion face aux insectes n’est pas qu’une « barrière psychologique », c’est plus compliqué : ce dégoût largement partagé chez des humains de tous les horizons est surtout le résultat de milliers d’années d’évolution humaine et peut être une réponse à des dangers1.

La théorie darwinienne de l’évolution a imprimé dans nos consciences le principe de « la survie des plus aptes » – et non des plus forts – pour expliquer pourquoi certaines espèces prospèrent alors que d’autres s’éteignent.

Mais la psychologie de l’évolution suggère que si l’humain a survécu jusqu’ici, c’est non seulement parce qu’il a su s’adapter, mais aussi parce qu’il a été guidé par ses peurs.

Une de ces peurs : celle des insectes.

Je cite l’entomologiste Jeffrey Lockwood2 : « L’évolution favorise les gènes anxieux. Nos ancêtres devaient errer du côté de la prudence. Confondre une branche tordue avec un serpent, une feuille qui tombe avec une araignée ou une semence de gazon avec un pou était plus bénéfique que d’ignorer ces indices. Un “faux positif” signifiait une peur non fondée, alors qu’un faux négatif signifiait l’élimination du pool génétique. »

Bref, manger des insectes, ce n’est pas acquis pour l’humain, incluant celui qui pousse son panier d’épicerie chez Maxi. C’est inscrit dans nos gènes que de se méfier des bibittes.

Jeffrey Lockwood a par ailleurs une expression fabuleuse pour expliquer notre dégoût des bibittes : « la survie des plus effrayés », survival of the scaredest. Avoir peur est un gage de survie, d’un point de vue de l’évolution. Avoir peur des insectes est un réflexe de survie.

Manger des insectes est peut-être souhaitable d’un point de vue rationnel, mais manger des insectes est également dégoûtant. Je n’utilise pas le terme dégoûtant pour frapper l’imaginaire, c’est le terme soumis aux 7560 personnes sondées dans 13 pays sur l’entomogastronomie3.

Ce sondage a démontré (si besoin était) que la seule idée de manger des insectes est « dégoûtante » : plus de 50 % des répondants ont cité cette raison pour ne pas souhaiter en manger… Exceptions : le Mexique et la Thaïlande.

Est-ce surprenant ?

Non, pas quand on sait que les insectes (je sais, ils sont essentiels dans les écosystèmes) suscitent des réactions épidermiques chez tous les humains, partout dans le monde.

Ça explique peut-être pourquoi le marché des humains disposés à ajouter des insectes dans leur diète est plutôt restreint et cela est… parfaitement compréhensible.

1. Consultez l’article « Why Are We Afraid of Bugs ? » (en anglais) 2. Consultez l’article « Survival of the Scaredest » (en anglais) 3. Consultez l’article « Consumer Avoidance of Insect Containing Foods: Primary Emotions, Perceptions and Sensory Characteristics Driving Consumers Considerations » (en anglais)