Du pain tranché ou des craquelins aux grillons, de la tartinade à l’ail à base de vers de farine et des ténébrions broyés à saupoudrer au petit matin dans son smoothie. Les insectes se frayent un chemin vers les assiettes. Mais plus difficilement au Québec.

En France, le marché des grillons explose. L’entreprise parisienne Ynsect a confirmé cette année son intention d’ouvrir des fermes aux États-Unis et au Mexique. Elle ne s’en cache pas, elle a l’œil sur le marché canadien. Ses contrats de vente s’élèvent à plus de 180 millions d’euros (263 millions de dollars canadiens).

En Ontario, plusieurs dizaines de millions de dollars du gouvernement ont permis de rentabiliser le premier élevage de grillons entièrement automatisé de la société Aspire, à London. Le géant transformateur d’insectes propose à ses clients plusieurs recettes, dont des boulettes de hamburger confectionnées en remplaçant le tiers de la viande par une formule à base de poudre de grillons. Ses insectes sont destinés aux humains et aux animaux.

Au Québec, l’avenir est incertain, faute d’argent. Même si la province connaît une légère croissance, la production d’insectes est encore à l’état « artisanal », à « l’échelle pilote », explique Marc-André Hébert, président de l’Association des éleveurs et transformateurs d’insectes du Québec (AETIQ), créée en 2019.

En l’absence de financement massif du gouvernement ou de partenaires privés, de jeunes pousses ont fermé leurs portes durant la pandémie, et ce, avant même d’avoir pris un réel envol, dit-il.

Le président de l’AETIQ est une véritable bible des insectes. Il est aussi propriétaire d’Entologik, un producteur et transformateur de grillons biologiques. En plus d’être vice-président de la Table filière des insectes comestibles du Québec, regroupant une quarantaine d’acteurs, dont une quinzaine de producteurs d’insectes.

« Juste avant la COVID-19, il y a eu un engouement pour l’industrie quand la militante Greta Thunberg s’est jointe à la marche du climat à Montréal. Il y a eu des avancées scientifiques. On invente encore nos procédés. Mais si on ne va pas de l’avant avec des investissements solides, ce sera difficile d’atteindre des normes de gestion ISO, d’être inscrits à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. De se tailler une place solide. »

Dans un ancien immeuble industriel, au 1401, rue Legendre Ouest, à Montréal, l’entreprise TriCycle parvient à tirer son épingle du jeu grâce à ses larves de ténébrions meuniers. La superficie de sa production, autrefois d’à peine 1000 pieds carrés (92,9 mètres carrés), s’étend aujourd’hui sur 10 000 pieds carrés. Avec un plan de croissance de 25 000 pieds carrés. Ses produits sont prisés pour nourrir les animaux de compagnie – oiseaux, lézards – ou les poules. L’alimentation humaine se développe aussi, mais à pas de tortue.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

L’entreprise québécoise TriCycle élève des insectes comestibles pour l’alimentation humaine et animale. À la fin du processus de transformation, l’insecte est à 50 % constitué de protéine. C’est deux fois plus que dans le cas du bœuf.

Au moment de la visite de La Presse, des craquelins aux vers de farine étaient testés par des employés. Notre équipe y a goûté : ils ont un goût salé, se rapprochant de celui des croustilles, avec une note de ciboulette. Dans l’entomoculture, les experts répètent que les insectes sont une solution par excellence pour remplacer la protéine animale dans l’alimentation humaine. On vante ses vertus pour lutter contre l’obésité, pour protéger le microbiote. Un superaliment pour les athlètes. Pour les végétariens, une grande source de vitamine B12.

Dans le contexte où il est impératif de réduire les émissioons de gaz à effet de serre (GES) liées à l’élevage du bétail et à la production de viande, le directeur des opérations de TriCycle, Alexis Fortin, estime que la consommation d’insectes devient un incontournable. Leur production ne nécessite pas l’utilisation de pesticides, il n’y a pas de tracteurs, les insectes ne produisent pas de méthane, et ils sont nourris avec des résidus alimentaires, comme de la drêche de brasserie (résidu céréalier).

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Alexis Fortin, cofondateur de TriCycle

Il y a encore une barrière psychologique tenace envers les insectes. On pense que c’est sale. Il faudra compter encore une dizaine d’années avant de bien les intégrer à notre alimentation. Mais il y a de la place pour des recettes.

Alexis Fortin, directeur des opérations de TriCycle

Dans les épiceries, les grillons font une timide apparition dans les rayons, par l’entremise de la marque le Choix du Président (Provigo), avec de la poudre 100 % grillons fabriquée chez Aspire, en Ontario. Du côté des supermarchés santé Avril, le porte-parole Alexandre Gaudreau n’avait « aucune information à communiquer ». Chez Rachelle Béry (Sobeys), la responsable des communications, Anne-Hélène Lavoie, a indiqué que l’enseigne « est toujours intéressée aux nouveaux produits ». Mais elle n’avait aucune confirmation concernant les insectes.

À l’Université Laval, une chaire est consacrée à la recherche et au développement en production et en développement d’insectes comestibles au sein de la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation. Marie-Hélène Deschamps, professeure adjointe, affirme que l’Europe a 15 ans d’avance sur le Québec.

« Le défi est de produire et ensuite de transformer les insectes. Au Québec, la firme Écodélys a développé une gamme de tartinades. Mais encore faut-il avoir les volumes. En ce moment, il y a une bonne fenêtre d’opportunités, mais l’industrie a besoin de financement. »

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  • Trois principaux insectes
    Au Québec, trois principaux insectes sont élevés pour l’alimentation humaine et animale : le grillon, le ténébrion meunier et la mouche soldat noire. Bien qu’aucun permis ne soit requis pour la production d’insectes, l’exploitant a la responsabilité de s’assurer de l’innocuité des produits qu’il offre aux consommateurs. En ce qui concerne la transformation ou la préparation d’insectes pour la consommation humaine, les règles d’hygiène et de salubrité alimentaires sont les mêmes que pour la préparation d’aliments. Ainsi, il faut s’assurer que les insectes sont propres à la consommation humaine.
    Source : ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
    12
    Les grillons ont besoin de 12 fois moins de nourriture que les bovins, quatre fois moins que les moutons et deux fois moins que les porcs et les poulets pour produire la même quantité de protéines. Ils demandent beaucoup moins d’eau que les animaux d’élevage.
    Source : Aspire London, Ontario