Autant que monter un sapin, c’est maintenant une tradition bien implantée chez nous de se faire peur collectivement à peu près à ce moment-ci de l’année : « C’est rendu qu’on peut plus dire joyeux Noël ! »

« On ne s’excusera pas de fêter Noël », a déclaré solennellement le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette. L’Assemblée nationale venait bravement de voter une motion unanime pour dénoncer « toute tentative de polarisation à l’endroit d’évènements rassembleurs qui font partie du patrimoine québécois depuis plusieurs générations. Elle invite tous les Québécois à s’unir en cette période de Noël qui approche ».

Les députés de tous les partis se sont ensuite applaudis.

Eh, je vote pour le patrimoine québécois, moi aussi ! Sans me vanter, je prévois d’ailleurs confectionner une véritable tourtière du Lac-Saint-Jean, avec même un peu de viande d’orignal qu’on m’a promise. Oui, madame. Vous avez raison, ma famille vient d’Abitibi, c’est donc de l’appropriation culturelle régionale, je ne m’en cache pas.

Mais revenons à nos élus.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

La motion a été déposée par le ministre responsable de la Lutte contre le Racisme, Christopher Skeete, conjointement avec l’opposition libérale, le Parti québécois ainsi que les deux députés indépendants.

Une fois cette trop rare et émouvante unanimité parlementaire passée, je suis allé lire le « document de réflexion » de la Commission canadienne des droits de la personne. Histoire de voir qui sont les salauds qui veulent kidnapper le père Noël.

Conclusion : ce texte sans aucune portée légale, qu’évidemment personne n’a lu, ne porte pas sur Noël. Il ne suggère pas d’annuler le congé du 25 décembre. Il ne dit pas qu’il est discriminatoire de célébrer Noël. Encore moins qu’il faille s’en excuser.

Mais quoi de plus rassembleur pour la nation que de se dresser devant l’assaut imaginaire à nos traditions ancestrales !

Que dit-il, ce texte1 ?

Il porte sur l’« intolérance religieuse ». Et dans la forme hypersensible en vogue dans cet organisme, le document tente essentiellement de sensibiliser les employeurs et la population en général à la discrimination, même non voulue, fondée sur la religion.

Un seul passage évoque Noël. Non pas pour en dénoncer la célébration, mais pour souligner le fait difficilement contestable que ce jour est un congé fondé sur la tradition chrétienne.

Voici le passage : « Un exemple évident est celui des jours fériés au Canada. Les jours fériés liés au christianisme, dont Noël et Pâques, sont les seuls jours fériés canadiens liés à des fêtes religieuses. Par conséquent, les non-chrétiens peuvent avoir besoin de demander des aménagements spéciaux pour célébrer leurs fêtes religieuses et d’autres périodes de l’année où leur religion les oblige à s’abstenir de travailler. »

Mais ce document de « réflexion » n’en appelle aucunement à remettre en question ces congés. Il se conclut par un appel au dialogue entre membres de diverses religions, plaide pour des accommodements religieux « raisonnables » au travail, recommande d’en apprendre sur les autres, etc.

Quand je dis que le texte est écrit dans le style « hypersensible », c’est qu’il amalgame sous le thème de l’« intolérance religieuse » tant les « micro-agressions » (commentaires déplacés ou involontairement blessants) et la rigidité du milieu du travail que le discours carrément haineux envers une religion et le vandalisme d’édifices religieux. Il va de soi que la « discrimination intersectionnelle » trouve sa place dans ce document, tout comme une dénonciation du colonialisme historique, c’est la loi du genre, il ne faut rien oublier.

Qu’on goûte ou non ce genre de documentation, qu’on aime ou pas le style, elle n’a rien de bizarre venant d’un organisme de défense des droits. Donc de défense des minorités, y compris des peuples autochtones, à qui l’on a infligé le christianisme dans les pensionnats. C’est le boulot de cette commission de s’inquiéter de l’égalité devant la loi, comme c’est le boulot de l’Office de la langue française de s’inquiéter de l’état du français au Québec.

Sauf que… ce n’est PAS un document sur Noël.

Alors, quoi qu’on en pense, il faut être particulièrement fragile du sapin pour y voir une attaque contre Noël ou les traditions de la majorité.

Mais c’est clairement payant politiquement de se lever à Québec ou à Ottawa, torse bombé, comme le chef du Bloc Yves-François Blanchet, pour ridiculiser ce document, en détourner le sens et se porter à la défense de Noël.

C’est aussi une manière pas très subtile de sous-entendre – faussement – qu’une menace plane sur « notre » Noël, et qu’elle est le fait des minorités religieuses.

Non, y a pas péril en la crèche, l’avent n’a pas été annulé et la musique de Noël ne se taira pas.

1. Consultez le « Document de réflexion sur l’intolérance religieuse »