Ce devait être une simple formalité : renouveler un permis d’études. C’est devenu une autre histoire kafkaïenne, gracieuseté de la bureaucratie d’Immigration Canada.

C’est l’histoire de Céline Fiuza, étudiante française de 26 ans qui a eu un coup de cœur pour le Québec dès qu’elle y a mis les pieds pour la première fois à 18 ans. « Au bout de deux semaines, c’était très clair que ma vie allait être ici. »

De retour en France après ce premier séjour, un rêve dans ses bagages, Céline s’empresse de tout faire pour le réaliser. Elle obtient un permis d’études pour le Québec. Elle s’y installe à l’automne 2017 pour poursuivre des études, d’abord en travail social, puis en affaires publiques, à l’Université Laval. Elle obtient un baccalauréat, puis s’inscrit à la maîtrise.

Au fil des ans, elle se fait un nid à Québec. Elle étudie, travaille, fait du bénévolat, noue des amitiés, rencontre une amoureuse, adopte un chat et multiplie les balades sur la promenade Champlain – le lieu qui l’apaise le plus au monde.

Le Québec, comment vous dire… c’est chez moi. Vous n’avez pas idée à quel point. Ma vie, elle est ici… Je l’ai toujours senti.

Céline Fiuza

Sa voix se brise.

Elle l’a toujours senti jusqu’à ce qu’elle lise le courriel que lui a envoyé le 12 novembre dernier Immigration Canada : sa demande de renouvellement de permis d’études, déposée le 2 août, avait été refusée. Au beau milieu de sa session universitaire, on l’avisait qu’elle n’avait plus de statut légal au pays. Il lui fallait mettre sa vie sur pause, faire ses valises et quitter le territoire.

Le cœur de Céline s’est serré. Elle a senti les larmes monter.

« J’ai eu le motton. Je n’en croyais pas mes yeux ! »

Raison officielle du refus ? On reprocherait à Céline de ne pas avoir fourni un reçu pour la collecte de ses données biométriques, obligatoires afin de finaliser sa demande. Pourtant, dans son dossier, il est inscrit : « Vous n’avez pas besoin de fournir vos données biométriques. Nous vous enverrons un message si cela devait changer. »

J’écris « reprocherait », car la lettre envoyée d’un bureau d’Edmonton d’Immigration Canada est rédigée dans un français si lamentable qu’il n’est pas si simple de la déchiffrer.

« La demande pour le reçu des frais biométriques pour finaliser la demande n’a pas encore été reçu (sic). Je suis insatisfait (sic) que vous rencontrez les critères (sic) pour la prorogation de votre permis d’étude (sic) selon le R315.1 (1) et le A 16 (1) – n’a pas fourni les frais pour les biométriques (sic). »

Si les consignes d’Immigration Canada étaient énoncées dans une langue intelligible, ce serait peut-être déjà plus facile de les faire respecter. Mais je m’égare…

Céline aurait volontiers fourni ses données biométriques (c’est-à-dire une photo et des empreintes digitales) si Immigration Canada lui avait demandé de le faire. Mais comme elle a lu dans son dossier en ligne que ce n’était pas nécessaire, elle s’est conformée à cette consigne, qui n’avait pas été mise à jour.

Suspendue pendant la pandémie, la collecte de ces données par le gouvernement fédéral est redevenue obligatoire le 23 février dernier pour les étudiants qui prolongent leur séjour. Peut-être que la situation de Céline, qui était au Québec bien avant cette date, tombait entre deux cases. Peut-être que le formulaire en ligne n’était pas tout à fait clair, à l’image de la correspondance d’Immigration Canada…

Peu importe la raison, les conséquences sont très lourdes pour l’étudiante en panique sommée de quitter le pays. Sa session universitaire est à l’eau.

Tout ça pour quoi ? On s’entend que l’on parle ici d’une erreur administrative plutôt banale qui aurait pu être corrigée par un simple coup de fil. Si l’agent d’immigration, qui a un pouvoir discrétionnaire, avait appelé Céline pour lui dire : « Tout est beau, mais il manque juste ce truc biométrique. Il y a eu confusion. La consigne vient de changer. Merci de nous l’envoyer. » Ou si Céline avait pu parler de vive voix à quelqu’un chez Immigration Canada pour signaler l’erreur et la corriger illico presto…

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. À défaut de pouvoir joindre un fonctionnaire au téléphone, l’étudiante a envoyé des courriels qui sont restés sans réponse. Elle a aussi tenté de trouver un bureau d’Immigration Canada où il est possible de parler à un être humain. « J’étais prête à aller à Edmonton s’il le faut… » En vain.

L’étudiante a aussi fait des démarches auprès de députés, tant au fédéral qu’au provincial, en espérant que quelqu’un, quelque part, puisse l’aider.

Finalement, 24 heures après que j’ai posé des questions à Immigration Canada, comme par magie, son dossier d’immigration a été mis à jour. La décision de refus a été remplacée par « en cours de traitement » et on a ajouté une case pour le paiement des frais biométriques. Mais comme l’erreur initiale a entraîné une désinscription à l’université, il n’est pas clair que l’étudiante pourra sauver sa session.

Si je me réjouis d’un possible dénouement heureux pour Céline, je continue de penser, comme je l’écrivais récemment, que le problème demeure entier et qu’il n’est pas normal d’attendre que les médias s’intéressent à un cas d’immigration pour le régler1.

Il y a évidemment des histoires de bureaucratie éhontée bien pires que celle-ci chez Immigration Canada. Des résidents temporaires en situation de plus grande précarité dont les histoires sont beaucoup moins médiatisées et qui sont moins bien outillés que Céline pour défendre leur cause.

Les injustices que peuvent vivre des candidats à l’immigration français sont sans commune mesure avec celles qui affectent par exemple des réfugiés désirant obtenir la résidence permanente, comme l’a noté récemment un rapport dévastateur de la vérificatrice générale du Canada2. Même quand ils sont les premiers arrivés, les réfugiés sont les derniers servis. Ils attendent plus longtemps que tous les autres immigrants, ce qui entraîne des conséquences importantes sur leur vie.

Mais en écoutant Céline, je me disais quand même : si c’est aussi compliqué pour un cas aussi simple, imaginez seulement ce que ça peut être pour des cas complexes.

Bienvenue au Canada ? Non. Bienvenue chez Kafka.

1. Lisez « Veuillez déposer votre vie dans ces cases » 2. Lisez « Plus long pour les réfugiés que pour les autres immigrants »