Ne vous fiez pas trop à votre gros bon sens pour le financement universitaire. Le dossier est plus complexe qu’il n’y paraît. Ce qui semble logique à première vue apparaît soudainement beaucoup moins clair après qu’on a démêlé les chiffres.

La réforme caquiste le démontre bien.

Pour les étudiants étrangers, ce n’est pas la catastrophe dénoncée. Mais pour les étudiants des autres provinces canadiennes, le problème est réel. Le Québec deviendra la première province qui refuse de payer une partie des droits de scolarité des candidats du reste du pays (ROC).

Pourquoi ?

Avant de décortiquer l’annonce, revenons au contexte.

Ce n’était pas une mesure improvisée en réaction à la victoire du Parti québécois dans Jean-Talon.

Plus tôt cette année, le ministre responsable de la Langue, Jean-François Roberge, avait promis de déposer d’ici l’automne un plan pour protéger le français. La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, préparait aussi depuis quelques mois la révision du financement universitaire.

En juin, Mme Déry a rencontré séparément la direction de McGill et de Concordia. Elle leur a demandé de répondre à trois préoccupations : l’anglicisation causée par leurs étudiants des autres provinces, la francisation déficiente et le déséquilibre financier découlant des clients étrangers.

Les autres universités n’ont pas été consultées. Elles ont seulement pris connaissance dans les médias des intentions générales de Mme Déry.

Une rencontre était prévue en octobre. Elle a finalement servi à annoncer la décision. Mme Déry voulait devancer McGill, qui s’apprêtait à dévoiler son plan de francisation (50 millions en cinq ans).

Comme collaboration, on aurait pu faire mieux.

Que vise Québec ? Ça dépend de qui parle.

Pour Mme Déry, le but est de rétablir l’équité pour les contribuables et pour les établissements francophones. Pour M. Roberge, c’est de réduire le poids de l’anglais dans le Grand Montréal.

Il y a une tension entre les deux.

Si M. Roberge craint une anglicisation, c’est parce qu’il conclut que les étudiants du ROC restent à Montréal après leur diplôme. Mais si Mme Déry voit une injustice pour les contribuables, c’est parce que ces gens quittent le Québec pour travailler ailleurs au lieu de contribuer à notre marché du travail.

On peut vouloir à la fois réduire le nombre d’étudiants anglophones et les financer moins. Mais cela n’aide pas à utiliser notre métropole universitaire comme un levier de développement économique.

La réforme compte deux volets. Le premier porte sur les étudiants du ROC et la « réciprocité ».

Vrai, les autres Canadiens ne financent pas directement le modèle québécois qui offre les plus faibles droits de scolarité au pays. Mais le système actuel en tenait déjà compte.

À la fin des années 1990, leur facture a bondi. Elle est devenue environ trois fois plus élevée que le tarif ordinaire. Aujourd’hui, un étudiant du ROC paye ainsi près de 9000 $ chez nous.

Ce prix correspond grosso modo à ce qu’un Québécois paye en moyenne dans les autres provinces⁠1.

Cet équilibre, les caquistes le rompent. Pour le premier cycle et les maîtrises sans mémoire, la facture d’un étudiant du ROC passerait à 17 000 $. Soit le coût réel de la formation.

Le Québec deviendrait la seule province à ne pas financer une partie des études de l’effectif des autres provinces. Selon Mme Déry, la défense du français justifie cette exception.

La « réciprocité » ressemble à un prétexte pour réduire les étudiants du ROC. Or, contrairement aux étudiants étrangers et aux immigrants temporaires, leur nombre a peu fluctué depuis 20 ans. Environ 15 000 fréquentent nos universités.

Il est vrai que 82 % d’entre eux sont dans un établissement anglophone. On aurait pu miser davantage sur la francisation. Au lieu de cela, l’approche caquiste crée un incident diplomatique avec les autres provinces et pose un danger existentiel à la petite Université Bishop’s.

Les autres peuvent se consoler en se disant que Québec n’a pas osé faire du français une exigence – suivre un cours ou réussir un test – pour être admis ou pour obtenir un diplôme.

Pour les étudiants étrangers, il n’y a pas de scandale. L’attractivité du Québec demeure intacte.

Mme Déry ne les dissuade pas de venir ici. Oui, elle impose un tarif plancher de 20 000 $. Mais cela reste inférieur au prix déjà exigé. Leur nombre ne devrait pas diminuer. Ce qui réduira, c’est l’argent qu’empochent les universités anglophones.

En 2008, les libéraux avaient déréglementé en partie les droits de scolarité pour certains programmes de science. En 2018, ils ont généralisé cette déréglementation à tout le Québec. Une université pouvait désormais leur facturer ce qu’elle voulait et garder tout l’argent, sans devoir le partager avec les autres établissements.

Mme Déry propose un modèle hybride. Ce marché sera réglementé seulement en partie. Québec prend la somme dégagée (la différence entre le plancher de 20 000 $ et le coût réel des études), et il la redistribue aux établissements francophones.

En contrepartie, si une université facture plus que 20 000 $, elle conserve cet excédent dans ses poches.

Les détails de cette redistribution ne sont pas connus.

Mais chose certaine, ce sera un jeu à somme nulle. Il y aura des perdants (McGill, Concordia, Bishop’s) et des gagnants (les universités francophones). Cela se défend très bien.

Par exemple, le réseau des Universités du Québec est une œuvre inachevée. La moitié de ses inscrits sont les premiers de leur famille à accéder à l’université, et sa capacité à amasser des dons est moindre.

Pour renforcer le savoir en français, les caquistes auraient pu aller encore plus loin.

En voici deux exemples.

D’abord, les ententes particulières. Les Français et les Belges conserveront leur tarif réduit, et c’est très bien. Mais pourquoi leur accorder cet avantage quand ils viennent ici pour apprendre l’anglais à McGill et à Concordia ? Le rabais doit servir à renforcer la francophonie, et non à pratiquer son anglais.

Ensuite, le sous-financement. Selon un mémoire de l’économiste Pierre Fortin produit pour le Bureau de coopération interuniversitaire, le sous-financement de nos universités s’élèverait à 1,4 milliard. Le Québec les appuie moins que les autres provinces et cet écart se creuse. Or, un lien direct existe entre le taux de diplomation et le revenu par habitant.

Au lieu d’investir plus, le gouvernement caquiste s’est contenté de réallouer l’enveloppe actuelle. Au mieux, il prévoit pouvoir redistribuer environ 110 millions aux universités francophones.

Pour un politicien comme M. Legault qui priorise l’éducation, le développement économique et la fierté québécoise, aider davantage nos universités serait un coup de circuit.

Après tout, l’objectif n’est pas d’affaiblir McGill et Concordia. C’est de renforcer le réseau francophone, pour niveler vers le haut.

⁠1. Ailleurs au pays, le coût d’une session varie selon la province, l’établissement et le programme. Par exemple, un Ontarien payera plus cher pour être formé en chimie qu’en histoire. Cette modulation n’existe pas chez nous.