C’est le long week-end de la fête du Travail. Trois jours de congé pour souligner l’importance du travail dans notre existence. C’est à la fois paradoxal et gratifiant.

Aucune autre activité essentielle à la vie en société ne reçoit autant d’égards. On ne célèbre pas la fête de l’Éducation, la fête de la Santé, la fête du Transport, la fête des Arts, la fête de la Famille, la fête des Loisirs. Mais le travail, oui. Et c’est mondial, partout (ou presque) les gens ont congé, soit le premier lundi de septembre, soit le 1er mai.

Ça se comprend, sans le travail, rien n’existe. La grande majorité de la population sort du lit, le matin, pour aller travailler. Sans le travail, on resterait couché. L’idée peut paraître plaisante, mais on ne resterait pas couché dans son beau grand lit, parce que sans le travail des ouvriers qui l’ont bâti, on n’aurait pas de lit. Une fois debout, on va à la salle de bain ; sans le travail, pas de salle de bain, pas d’eau dans les tuyaux, pas de brosse à dents. On s’habille ; sans le travail, pas de vêtements. On prend un café ; sans le travail, pas de café. On monte dans l’auto ou on prend le métro ; sans le travail, pas d’auto ni de métro. On arrive à la job ; sans le travail, bien sûr, pas de job. On lunche au café d’en face ; sans le travail, pas de café d’en face. On texte son partenaire pour lui demander à quelle heure il ou elle ou iel compte rentrer ; sans le travail, pas de téléphone, et encore moins d’internet, de WiFi et de 5G. On passe à l’épicerie ramasser de quoi souper ; sans le travail, point d’épicerie, de légumes et de fruits.

Tous nos besoins sont comblés, d’abord, grâce au labeur de millions de bosseurs, puis grâce au nôtre, pour être capables de nous payer le prix de leur productivité. La définition du Robert, que l’on doit au travail d’intellectuels, l’explique bien ; le travail est l’ensemble des activités humaines organisées, coordonnées, en vue de produire ce qui est utile.

Bref, un pays, c’est la somme du travail des habitants d’un même lieu, dans tous les domaines, de l’agriculture à l’industriel, en passant par la culture et les services publics. Il y a vraiment de quoi fêter.

Honorer ce que l’on tient beaucoup trop pour acquis. Il a fallu une pandémie pour réaliser à quel point l’apport de chacun affecte nos vies. En même temps, cette même pandémie a fait réaliser à beaucoup qu’il y a autre chose que le travail pour atteindre le bonheur.

Des millions de personnes ont cessé de travailler et ont appris à exister, sans boulot, durant des mois et des mois. Elles ont constaté que le travail n’était pas la seule façon de se définir, de s’épanouir. Voilà pourquoi, au retour à la normale, de nombreuses personnes ont réorienté leur carrière. Elles travaillent toujours. Mais ailleurs. Dans des métiers qui permettent de respirer. Et surtout, elles ne font pas que travailler, comme mon père faisait.

Il y a 24 heures dans une journée. On en consacre 8 à dormir, il en reste 16. Le travail, en calculant le temps pour y aller et le temps pour en revenir, en bouffe facilement 11. Il ne reste plus grand-chose. C’est ce qui est en train de changer.

Au début des années 1960, on nous promettait la société des loisirs. Les progrès de la science et les nouvelles mentalités allaient nous permettre de consacrer moins de temps à la job. La course à l’argent et la surconsommation effrénée ont fait en sorte qu’on n’a jamais autant travaillé que dans les décennies qui ont suivi. La société des loisirs paraissait être une lubie de sociologues. Ils étaient juste trop en avance. Nous y voilà, en 2023. Les nouvelles générations préfèrent la qualité de vie à la quantité de travail. D’autant plus que la crise environnementale rend la surconsommation honteuse. Le cash devient une carotte moins tentante. On lui préfère le yoga et la connaissance de soi.

Le travail ne prend plus toute la place. Et ça cause des problèmes. On manque de monde pour assurer des services vitaux comme la santé et l’éducation. Dans ces professions, de moins en moins de gens veulent faire du temps plein et sacrifier la famille, les proches et leur propre personne. Le travail est en pleine mutation.

Il y a toujours les chanceux pour qui leur occupation est une passion, et qui ne comptent pas les heures, parce qu’ils n’ont pas l’impression de travailler. J’en suis. Et il y en a d’autres, pour qui la chance est ailleurs, à la maison, en voyage, dans leur parcours. Le travail devenant l’activité permettant d’en vivre d’autres, plus gratifiantes.

Ce n’est qu’une question de temps avant que l’intelligence artificielle remplace des millions et des millions de travailleurs. Ceux-ci devront miser sur une activité que l’intelligence artificielle ne sera jamais en mesure de faire : vivre.

Le premier lundi de septembre, ici, c’est la fête du Travail. Et tous les jours de l’année, c’est la fête de la vie. Et bien que la vie sans travail, ce soit la mort, comme disait le poète, ce sera toujours la vie qui primera l’autre.

Bonne fête du Travail ! Merci au travail des autres qui nous rend la vie plus belle, et que le nôtre fasse autant de bien aux autres qu’à nous-mêmes.