Particules fines, alcool, viande rouge, charcuteries, pesticides, perfluorés, obésité… les dangers pour la santé semblent innombrables. Comment se protéger sans s’inquiéter du matin au soir ? Des chercheurs étudient les meilleures manières de bien informer les patients des risques découlant de leurs choix.

Au début de l’été, Heinz Freisling a publié une étude unique en son genre : un suivi de 2,6 millions de personnes pendant neuf ans pour voir l’impact de l’obésité sur une vingtaine de types de cancers. « Jamais, à ma connaissance, une étude n’a mesuré chaque année le poids des gens pendant aussi longtemps, pour mesurer vraiment l’impact à long terme de l’obésité », explique le chercheur au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) à Lyon, qui publiait ses résultats dans Nature Communications.

PHOTO LEAH NASH, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Selon une récente étude, l’obésité serait liée à un risque plus élevé pour les cancers de l’endomètre, du foie et du rein.

L’obésité était liée à un risque plus élevé pour les cancers de l’endomètre, du foie et du rein. Dans ces deux derniers cas, le risque augmentait de 30 % avec un indice de masse corporelle (IMC, le poids divisé par le carré de la taille) de 35 et de 100 % avec un IMC de 40. Le risque de cancer était plus faible pour les gens faisant du surpoids, soit un IMC de 25. D’autres cancers étaient liés à l’obésité de manière non statistiquement significative.

Le biologiste lyonnais s’attaque maintenant à un autre défi : comparer les risques pour la santé de différentes variables.

Tout le monde travaille en silo. Il y a des études sur les conséquences sur la santé de l’exercice, de l’alimentation, de l’obésité, de la génétique, de la pollution. Souvent, les statistiques ne sont pas comparables d’une étude à l’autre. Ou alors on utilise des mesures composites, particulièrement dans l’étude des habitudes de vie. Mais ça reflète assez mal, finalement, les choix individuels.

Heinz Freisling, chercheur au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), à Lyon

L’étude sur l’obésité et le cancer illustre bien le souci du détail de M. Freisling. Chaque année, une mesure de l’IMC des participants – des Espagnols – était prise. Les unités en excès de la limite de l’obésité (fixée à un IMC de 30) étaient additionnées et comparées au risque de cancer.

Communiquer les risques

Les résultats de l’étude de M. Freisling illustrent les travaux de spécialistes de la « communication du risque », un champ de recherche médical en émergence. « D’une manière générale, les risques médicaux sont mal expliqués aux patients », explique Roland Grad, de l’Université McGill, qui a publié sur cette question. « Pour la plupart des gens, un risque deux fois plus élevé semble très menaçant. Et si on utilise un synonyme, un risque augmenté de 100 %, certains patients vont avoir l’impression de courir un très grand risque. Pour cette raison, il vaudrait mieux utiliser les risques absolus, pas les risques relatifs. »

Dans le cas de l’étude de M. Freisling, le risque de cancer du foie ou du rein augmentait de 1,3 fois pour les patients ayant un IMC de 35 pendant toute la durée du suivi de neuf ans, et de 2 fois pour les patients ayant un IMC de 40. Or, environ 1,8 % des gens auront un cancer du rein et 1,2 %, un cancer du foie durant leur vie, selon la Société américaine pour le cancer. Cela signifie que neuf ans d’obésité morbide, avec un IMC de 40, portent le risque de cancer du rein à 3,6 % et de celui du foie à 2,4 %.

Obésité et tabagisme

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le tabagisme est dans une catégorie à part en ce qui concerne les risques pour la santé.

La quasi-totalité de la dizaine de spécialistes des risques médicaux joints par La Presse s’entend : si on exclut les grands accidents industriels avec des expositions à de très fortes doses de produits toxiques, le tabagisme est dans une catégorie à part en ce qui concerne les risques pour la santé. « Le tabagisme augmente de 10 à 20 fois le risque de certains cancers », explique Gerd Gigerenzer, de l’Institut Max-Planck à Berlin, qui a publié une vingtaine d’études sur la communication des risques médicaux.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’INSTITUT MAX-PLANCK

Gerd Gigerenzer, de l’Institut Max-Planck

Environ la moitié des cas de cancers sont liés à des comportements évitables. Parmi cette catégorie, le tabac est en Occident responsable de la moitié des cancers ‟comportementaux”, même si le tabagisme est en recul depuis des décennies. Ensuite vient l’obésité, responsable du quart des cancers dus à des comportements. C’est assez modeste, finalement, vu la montée du surpoids dans les sociétés occidentales.

Gerd Gigerenzer, de l’Institut Max-Planck, à Berlin

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Manger 200 g de viande rouge par jour augmenterait le risque de certains cancers de 1,4 fois.

Les risques liés à d’autres facteurs et faisant souvent les manchettes sont plutôt de l’ordre de ceux attribuables à l’obésité et non au tabagisme. Par exemple, manger chaque jour un steak de 200 g ou chaque jour 100 g de viande transformée (bacon, jambon) augmente le risque de certains cancers de 1,4 fois, selon le CIRC. Ou alors, ne pas traiter une apnée du sommeil augmente de 1,5 fois le risque de démence, selon une étude publiée en 2019 dans Alzheimer’s & Dementia.

Alcool et charcuteries

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Prendre deux verres par semaine, c’est accepter un risque lié à l’alcool équivalent au risque de noyade pour le Canadien moyen.

Au début de l’année, de nouvelles recommandations canadiennes de consommation d’alcool, avec une limite de deux verres par semaine, ont fait les manchettes. L’un des auteurs, Peter Butt, de l’Université de la Saskatchewan, concède lui aussi qu’on est loin du tabagisme. « Un verre d’alcool, c’est comme une cigarette, dit-il. Le problème, c’est que les fumeurs prennent facilement un demi-paquet par jour. »

Prendre deux verres par semaine, c’est accepter un risque lié à l’alcool équivalent au risque de noyade pour le Canadien moyen. Et six verres par semaine équivalent au risque de mourir dans un accident routier. « On pourrait considérer qu’il est plus facile d’éviter l’alcool que d’éviter de conduire une voiture. »

Peut-on comparer l’alcool aux charcuteries ? En 2015, le CIRC publiait un rapport faisant état d’un risque accru de 1,7 fois de certains cancers chez les grands mangeurs de saucisson et de bacon. Cette comparaison difficile est une bonne illustration des « silos » auxquels veut s’attaquer M. Freisling. Dans l’étude du DButt, l’unité de mesure associée à la consommation d’alcool est le nombre d’années perdues par 1000 personnes. « Nous estimons que se limiter à deux consommations par semaine permet de limiter le risque lié à l’alcool à 17,5 années de vie perdues par 1000 personnes, dit le DButt. Avec six consommations, on passe à 17,5 années de vie par 100 personnes. »

Et l’environnement ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les risques environnementaux pour la santé sont considérés comme « involontaires ».

Ce niveau de risque – 1/1000 – est l’objectif pour ce qui est des risques modifiables ou « volontaires », comme l’alimentation. Pour les risques environnementaux, qui sont jugés « involontaires », le niveau de risque est de 1 sur 1 million, selon le DButt.

« C’est pour cette raison qu’on abaisse les niveaux sécuritaires de produits chimiques dans l’environnement et l’eau potable », explique Martin Scheringer, chimiste à l’École polytechnique fédérale de Zurich, qui vient de publier sur les solutions de rechange aux perfluorés, dans la revue Science.

À moins de déménager, on ne peut pas échapper aux risques environnementaux.

Martin Scheringer, chimiste à l’École polytechnique fédérale de Zurich

Cela signifie par contre que les risques associés au dépassement de normes environnementales sont beaucoup plus faibles que ceux liés à l’alimentation – ou à l’obésité, selon Harvey Checkoway, de l’Université de Californie à San Diego, qui a beaucoup publié sur la communication des risques environnementaux. « À l’extérieur des points chauds de contamination chimique, pour les gens qui ne travaillent pas avec des produits chimiques, les risques sont au maximum comparables au surpoids, estime M. Checkoway. Cela dit, il y a une accumulation des différents risques comportementaux et environnementaux. »

Il ne faut pas pour autant minimiser les risques environnementaux. « Sans verser dans l’anxiété, il ne faut pas hausser les épaules, mais plutôt militer politiquement pour assainir l’environnement », dit M. Checkoway.

En savoir plus
  • 4,1 %
    Risque d’avoir le cancer colorectal durant sa vie
    Source : Centre international de recherche sur le cancer
    5,6 %
    Risque d’avoir le cancer colorectal durant sa vie si on mange chaque jour un steak de 200 g
    Source : Centre international de recherche sur le cancer
  • 5,7 %
    Risque d’avoir le cancer colorectal durant sa vie si on mange chaque jour 100 g de viande transformée (bacon, saucisson, jambon)
    Source : Centre international de recherche sur le cancer
    1,6 %
    Risque annuel d’avoir un évènement cardiovasculaire chez les plus de 60 ans n’ayant pas d’apnée du sommeil
    SOURCE : Journal of the American Heart Association
  • 6 %
    Risque annuel d’avoir un évènement cardiovasculaire chez les plus de 60 ans ayant une apnée du sommeil traitée
    SOURCE : Journal of the American Heart Association
    16 %
    Risque annuel d’avoir un évènement cardiovasculaire chez les plus de 60 ans ayant une apnée du sommeil non traitée
    SOURCE : Journal of the American Heart Association
  • 22 %
    Risque d’avoir un diagnostic de démence, pour une personne de 60 ans souffrant d’athérosclérose
    Source : Alzheimer’s & Dementia
    33 %
    Risque d’avoir un diagnostic de démence, pour une personne de 60 ans souffrant d’athérosclérose et d’apnée du sommeil grave
    Source : Alzheimer’s & Dementia
  • 24 ans
    Nombre d’années sans maladies chroniques (diabète et cardiopathies) pour les femmes de 50 ans ayant de mauvaises habitudes de vie selon cinq critères (non fumeuse, moins d’un verre d’alcool par jour, pas de surpoids, exercice de 30 minutes par jour et alimentation relativement saine)
    SOURCE : British medical journal
    34 ans
    Nombre d’années sans maladies chroniques (diabète et cardiopathies) pour les femmes de 50 ans respectant au moins quatre de cinq critères d’habitudes de vie saines (non fumeuse, moins d’un verre d’alcool par jour, pas de surpoids, exercice de 30 minutes par jour et alimentation relativement saine)
    SOURCE : British medical journal