À la dernière course à la direction du Parti conservateur, les candidats ne savaient pas trop comment parler d’immigration. Que pensez-vous de la nouvelle cible du fédéral de 500 000 immigrants permanents ? a demandé le modérateur au débat d’Edmonton.

Tous étaient d’accord. Ils semblaient même surpris de devoir en parler. En effet, le sujet restait plutôt absent des débats politiques. L’approche canadienne faisait consensus.

Mais depuis quelques semaines, des reportages soudainement critiques apparaissent dans le Canada anglais.

On peut les diviser en deux catégories.

Certains s’inquiètent de la volonté du gouvernement Trudeau de devenir le pays développé qui accueille le plus haut taux d’immigrants au monde alors que les logements manquent et que les services publics croulent sous la demande.

D’autres appuient la cible canadienne, mais craignent une montée de l’intolérance. Ils exhortent le fédéral à mieux communiquer et gérer le dossier. Leur message : la bureaucratie du ministère de l’Immigration doit réduire les délais et le fédéral doit accélérer la construction de logements avec l’aide des municipalités et des provinces et, enfin, tout le pays doit résister à la tentation de tenir les néo-Canadiens responsables de problèmes qui précédaient leur arrivée.

Le Canada est un pays jeune et vaste qui ouvre ses portes aux nouveaux arrivants en leur permettant de vivre selon leurs valeurs. Cette mosaïque a longtemps été considérée comme une richesse. L’année dernière, un sondage Environics confirmait que 7 Canadiens sur 10 appuyaient les cibles d’immigration. C’était l’appui le plus élevé depuis l’adoption de la politique fédérale sur le multiculturalisme en 1971.

Il commence toutefois à y avoir des fissures.

En mars, la firme Nanos mesurait un enthousiasme plus modéré. Seulement un sondé sur deux jugeait que le plan d’immigration du fédéral aurait un effet positif sur l’économie.

Au début août, Nanos est revenu à la charge avec une question plus précise. Que pensent les Canadiens de l’impact de l’immigration sur le logement ? Plus de deux répondants sur trois anticipaient un effet négatif.

Avec l’immigration, le réflexe est souvent de réfléchir en termes moraux. Les critiques trahiraient une forme de fermeture, et le repli identitaire serait particulièrement présent chez les nationalistes conservateurs québécois.

Ce portrait mérite d’être nuancé.

D’abord, Nanos ne mesure pas de différence significative entre le Québec et la moyenne canadienne. Les Ontariens (34,4 %) et les Britanno-Colombiens (33,1 %) sont au moins aussi susceptibles que les Québécois (31,4 %) de vouloir limiter le nombre de nouveaux arrivants. Et ce, même si leur langue officielle n’est pas fragilisée.

Ensuite, ces réserves découlent en partie d’un problème objectif, celui du logement.

L’immigration n’est pas la principale cause de la pénurie de logements. L’offre manque à cause des taux d’intérêt, de la pénurie de main-d’œuvre et de la réglementation – surtout municipale – qui rend les projets plus longs et plus coûteux à construire. Et ceux qui en souffrent le plus sont justement les nouveaux arrivants eux-mêmes.

Mais même si l’immigration n’est pas la grande responsable de la crise, elle n’aide certainement pas à la régler. On ne compte plus les rapports d’économistes qui le démontrent.

Le ratio de logement par habitant est à son plus bas depuis 40 ans. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, il faudrait plus que doubler le rythme de construction actuel. Soit ajouter 5,8 millions de logements au marché d’ici 2030, au lieu des 2,3 millions prévus.

La Banque TD évalue que la politique d’immigration creusera cet écart. Le gouvernement Trudeau devrait réexaminer ses cibles, recommande la Banque Nationale.

Des politiciens commencent aussi à poser des questions, y compris ceux plus à gauche comme le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique. Le secrétaire général de la province a affirmé que l’immigration nuisait au logement, et le premier ministre David Eby a repris son analyse.

Même un quotidien favorable au multiculturalisme comme le Globe and Mail a fait part de ses réserves dans un éditorial ainsi que dans un dossier sur les défis de l’immigration pour les infrastructures.

Lors du dernier remaniement ministériel, Justin Trudeau a nommé son ami Marc Miller ministre de l’Immigration. Celui-ci a répété des arguments maintes fois contredits par la recherche économique, en prétendant que l’immigration aurait un impact majeur pour réduire la pénurie de main-d’œuvre, freiner le vieillissement de la population et même diminuer la pénurie de logements.

C’est dans ce contexte que l’immigration devient soudainement un sujet de débat d’un océan à l’autre.

La preuve, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a jugé que la cible libérale était « idéologique », sans toutefois promettre de la réduire.

Le Canada reste un pays ouvert à l’immigration. Cet enjeu ne devrait pas être central lors de la prochaine campagne électorale, et ce n’est pas non plus le facteur le plus important de la crise du logement. Mais en continuant d’avancer un discours moralisateur qui ignore les problèmes vécus concrètement par leurs concitoyens, surtout les moins nantis, les libéraux pourraient contribuer à la montée de l’intolérance qu’ils veulent pourtant combattre.