L’ancien François Legault aurait été surpris.

Après la santé et l’éducation, le gouvernement caquiste prépare une autre réorganisation des structures, cette fois dans les transports, avec son projet de créer une agence indépendante, comme le révélait lundi mon collègue Tommy Chouinard.

Lisez « Réforme en route au ministère des Transports »

Dans l’opposition, les caquistes étaient sceptiques par rapport à ces opérations. M. Legault et son équipe se vantaient d’avoir une expertise de gestionnaires. Avec eux, l’État serait enfin géré de façon efficace. On avait déjà perdu trop de temps à jouer dans l’organigramme, laissait-il entendre. Finalement, après s’être buté aux lourdeurs administratives, il le fait à son tour.

En éducation, les caquistes ont converti les commissions scolaires en centres de services. Dans ce cas, il s’agissait d’une vieille promesse. Or, la décentralisation espérée n’a pas eu lieu. Dans sa réforme, le ministre Bernard Drainville revient à la charge en proposant que Québec nomme et dégomme les directeurs de ces centres de services.

En santé, le ministre Christian Dubé a surpris en s’engageant à transformer le mastodonte de l’État en agence. Le gouvernement dicterait les orientations et les agences trouveraient ensuite les moyens les mieux adaptés pour obtenir ces résultats dans leur région respective.

Et maintenant, c’est au tour des transports. Selon mes informations, la réforme toucherait surtout, voire exclusivement, au transport collectif. Le débat reste à faire sur la portée du mandat.

L’idée ne sera pas facile à vendre au ministère des Transports, qui sera déstabilisé.

Si nos maux des transports sont connus, il n’est pas évident qu’une agence les règlerait. Tout dépendra de la façon de l’implanter.

Chose certaine, le constat est clair : les chantiers de transports en commun sont lents à réaliser, et ces délais coûtent cher.

Les raisons sont nombreuses.

D’abord, il y a la politisation. Les projets changent avec les gouvernements, et ils sont choisis autant pour leur capacité à gagner des votes qu’à optimiser les déplacements.

Une agence n’y changerait pas grand-chose. Le mot final revient à celui qui signe le chèque, soit le gouvernement. Et c’est lui qui dicterait les orientations à l’agence. Le rôle de cette instance serait plus modeste. Il consisterait à trouver les meilleurs moyens d’atteindre les objectifs, comme en santé.

Une autre cause des échecs dans les transports est la bureaucratie. Les étapes sont nombreuses et lourdes. Si le Réseau express métropolitain (REM) a été construit relativement vite, c’est parce qu’il n’était pas assujetti à ces règles. Bien sûr, le gouvernement pourrait alléger ces processus. Mais ce serait en effet plus simple avec une agence qui pourrait réviser et ajuster les contrats avec plus de flexibilité.

Quant à la main-d’œuvre, les avantages sont moins importants qu’on le dit. Vrai, l’agence permettrait de recruter des ingénieurs experts en les payant à un autre tarif que celui du Ministère. Mais cela ne corrigera pas la pénurie de main-d’œuvre et la faible concurrence dans le privé – il n’y a pas beaucoup d’entrepreneurs capables de construire les mégaprojets.

Par ailleurs, les caquistes compliquent les négociations à venir avec les ingénieurs du public, qui y verront un argument pour bonifier leur rémunération.

Une agence pourrait assouplir la gestion des grands projets et éclairer les décisions de l’État, comme le prouve l’exemple de Metrolinx en Ontario. Mais c’est loin d’être une garantie, comme le démontre chez nous le cas de l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

Car il existe déjà une instance indépendante, l’ARTM. La nouvelle agence de la CAQ risquerait fort de la remplacer. Mais éviterait-elle d’en répéter les erreurs ?

À ses débuts, en 2017, l’ARTM semblait surtout vouloir surveiller les municipalités. Elle ne remplissait pas son rôle de planificateur. Le meilleur exemple : sa liste d’épicerie de projets prioritaires, qui dépassait 57 milliards. Depuis, l’ARTM essaie de s’ajuster. Mais les caquistes restent sceptiques, et elle ne réussit pas à faire valoir son expertise.

Et bien sûr, il y a l’argent. Le fonds qui finance le transport routier et collectif est déficitaire, et le déficit se creuse chaque année.

À cela s’ajoute le problème habituel des gouvernements qui payent pour de grands projets vendeurs, mais négligent de financer leur exploitation et leur entretien. Un exemple concret : les rubans coupés pour acheter des autobus électriques, alors que le parc actuel est en mauvais état et qu’il manque de ressources pour les faire rouler.

Pour trouver l’argent, des solutions existent. Le ministère des Transports évalue six scénarios, dont une taxe kilométrique et un système bonus-malus (taxe pour les véhicules polluants, rabais pour les modèles écoénergétiques).

La ministre Geneviève Guilbault a terminé une consultation à ce sujet. Elle prépare maintenant son rapport.

Les caquistes démonisent depuis des années l’écofiscalité. Un revirement à ce sujet serait à la fois justifié et difficile à vendre. Comme pour le troisième lien.

Une agence aiderait à faire cette pédagogie, si elle arrive à temps. C’est là un dernier risque : que la création de l’agence fasse perdre un temps précieux pendant que des projets comme le REM de l’Est se font encore attendre.

Même quand le gouvernement délègue à une agence, il demeure responsable du résultat.