Il y a un jeu qui est très populaire depuis deux semaines à Montréal et sur la Rive-Sud : comparer le temps qu’on mettait à se rendre du point A au point B sans le REM et celui qu’on met avec le REM. À voir les résultats, on constate qu’il y a autant de gagnants que de perdants.

Car s’il y a une chose que l’on retient de ce nouvel écosystème de transport collectif, c’est qu’il compose avec une foule de particularités. Et comme chacun tente de voir les choses dans son prisme et dans son train-train quotidien, ça donne une jolie charge de grogne et de revendications.

Prenez juste l’exemple de L’Île-des-Sœurs, là où se trouve la seule station du Réseau express métropolitain (à part celle de la gare Centrale) qui n’est pas sur la Rive-Sud. L’amputation et les réaménagements des circuits d’autobus alimentent un lot important de critiques.

J’ai hâte de voir comment les usagers de Longueuil réagiront aux nouvelles lignes d’autobus qui entreront en service le 21 août prochain. Pour le moment, on parle de « parcours bonifiés » et de « temps améliorés ».

Plus tôt cette semaine, on a appris que la voie réservée aux autobus sur le pont Samuel-De Champlain allait disparaître le 25 août prochain. Il était prévu qu’une période de transition de quelques mois allait précéder cette étape. Mais l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) a décidé de procéder maintenant.

Cela veut dire que les autobus provenant de villes comme Saint-Jean-sur-Richelieu, Bromont ou Sherbrooke (qui ne font pas partie de l’ARTM) vont mettre plus de temps pour traverser le pont. Parlant de ces municipalités, on a aussi appris sous la plume de mon collègue Henri Ouellette-Vézina que l’ARTM pourrait mettre fin à la location des quais de son terminus situé près de la gare Centrale dès septembre 2024.

Face à cela, les villes de Sherbrooke, Magog, Bromont et Granby songent à se doter d’un système d’autobus qui les relieraient au REM.

Quand on regarde l’ensemble de ces décisions, on comprend clairement que la stratégie est d’amener, sinon de forcer, les usagers à converger vers le REM.

Bien sûr qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs, et nous voulons tous avoir un système de transport collectif structurant, efficace et de son temps. Et bien sûr qu’il faudra attendre que l’ensemble du réseau soit complété pour bien mesurer l’impact de tout cela.

Mais sommes-nous en train de sauter des étapes ? Allons-nous trop vite dans certaines décisions ? Sommes-nous en train de créer un système qui reposera sur l’efficacité de la colonne du REM et qui pourrait s’effondrer le jour où celle-ci sera paralysée ?

Je ne suis pas le seul à me poser ces questions. Catherine Morency, une professeure au département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal qui possède une grande expertise dans le domaine des transports en commun, croit que nous avons tort de limiter la pluralité de notre écosystème comme on le fait en ce moment.

« Ce qui me préoccupe, c’est la question du plan B. Quels sont les trajets pour lesquels nous n’avons pas de plan B ? S’il arrive quelque chose ou que le REM est plein, il n’y aura pas d’autres trajets qui seront suffisamment compétitifs pour les usagers. C’est une approche anti-usager. »

Il est effectivement étonnant de constater que le réseau routier offre une foule d’options aux automobilistes et qu’au moment de bonifier le système de transport collectif et de lui faire franchir une étape importante, on serre la vis sur certaines options.

Il ne faut pas faire de substitutions, il faut ajouter des options.

Catherine Morency, de Polytechnique Montréal

« Je peux très bien concevoir qu’une personne préfère effectuer un trajet en autobus qui est plus long, mais sans correspondance, poursuit-elle. On entre de plus en plus dans une logique où l’on dit aux gens qu’il faut prendre la voiture pour utiliser les transports en commun. C’est n’importe quoi. »

J’ai une bonne idée de ce que vous pensez en ce moment : avons-nous les moyens de nous offrir une telle pluralité ? L’ARTM accueille un nouveau joueur. Il est normal qu’elle fasse des ajustements ailleurs. Catherine Morency fait partie de ceux qui croient que la solution se trouve… chez les automobilistes.

« Si on veut vraiment investir dans les transports en commun, il faudrait arrêter de financer le concurrent principal. Si notre objectif est de réduire notre dépendance à l’auto, il faut s’assurer que ceux qui font des déplacements en auto payent le juste prix. En ce moment, on paye pour des infrastructures et on ne fait pas ce qu’il faut pour maximiser leur utilisation. »

En effet, on traîne la patte sérieusement avec la mise en place de projets comme l’instauration d’une taxe kilométrique. Il y a aussi l’aspect du péage routier largement exploité par d’autres pays, dont nos voisins du Sud.

Chaque année, les Québécois injectent 43 milliards de dollars1 dans le transport automobile (dépenses gouvernementales, achats, entretien, essence). La somme s’élève à 51 milliards si on ajoute des facteurs comme les accidents, la pollution, la congestion routière et le stationnement.

La somme dépensée par ménage arrive après le logement et avant l’alimentation. C’est une évidence qu’une partie de cet argent devrait être liée à la création et à l’utilisation du réseau de transports en commun.

Nous avons mis sept ans à mettre en place le projet du REM. Et nous avons privilégié une seule avenue : lui faire de la place au nom de la rentabilité et du succès.

Il n’est pas trop tard pour mener cette révolution collectivement. Au contraire, il faut profiter de ce nouveau visage pour passer à l’action. On aura fait les choses à l’envers, mais ça, ça ne sera pas la première fois.

1. Consultez l’étude Évolution des coûts du système de transport par automobile au Québec, de la Fondation Suzuki et de Trajectoire Québec, 2017