En immigration, le gouvernement caquiste n’est pas facile à suivre. Les promesses fluctuent avec les saisons, avec les changements de chiffres et d’adjectifs. Mieux vaut prendre une Gravol et ne pas cligner des yeux.

Mais au moins, l’évolution va dans le bon sens. Le nouveau plan déposé par la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, est le plus abouti de l’histoire de son parti.

Un peu comme pour le troisième lien entre Québec et Lévis, la CAQ avait un discours conçu pour une certaine clientèle électorale. Après avoir parlé en campagne, les caquistes ont réfléchi au pouvoir.

François Legault ne juge plus « un peu suicidaire » d’accueillir davantage d’immigrants. Mme Fréchette ne dit pas que la majorité des nouveaux arrivants « ne travaillent pas » et « ne respectent pas nos valeurs » comme l’avait fait en campagne électorale son prédécesseur, Jean Boulet.

Comme n’importe quel gouvernement, la CAQ essaie de trouver des politiques à la fois pertinentes sur le fond et rentables stratégiquement. Mais au moins, elle ne le fait plus avec un discours qui fragilise la cohésion sociale.

Jeudi, Mme Fréchette s’est prononcée sur deux questions de base : « qui » et « combien ».

Commençons avec le nombre. La ministre soumet à la consultation un scénario de statu quo (environ 50 000 immigrants permanents par année) et un autre qui prévoit une augmentation graduelle (jusqu’à 60 000 en 2027). Cette option marque un changement à la fois plus grand et plus petit qu’on ne le croit.

Il est plus grand, car ce chiffre n’inclut pas les étudiants étrangers qui parlent français et qui pourraient profiter de la voie rapide – le Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Ce programme ne serait plus plafonné. Si la tendance prépandémique se poursuit, près de 10 000 jeunes pourraient s’en prévaloir. On s’approcherait alors du chiffre de 70 000 immigrants par année. Soit celui proposé par les libéraux et les solidaires, que la CAQ jugeait dangereux pour l’avenir de la nation.

D’un autre côté, ce changement serait plus petit qu’on ne le prétend, car il n’inclut pas les immigrants temporaires. Même si ces individus finissent par quitter le territoire et sont remplacés par d’autres, ce qui génère une masse constante de gens. Selon le dernier chiffre, ils étaient près de 360 000. Cela relativise la possible hausse du nombre d’immigrants permanents. En effet, même si ce nombre augmente de 20 000, il s’agirait d’une hausse de 5 % (par rapport au total temporaire + permanent).

On devine que Mme Fréchette préfère la hausse modérée.

En soumettant deux scénarios, elle permet toutefois à son gouvernement de sauver la face en disant que la promesse électorale du statu quo n’est pas abandonnée. Et rien n’exclut qu’un troisième scénario hybride soit retenu au terme de la consultation.

En n’incluant pas le PEQ, elle présente un chiffre artificiellement bas. Mais ce n’est tout de même pas une cachette. Cette intention a été expliquée clairement dans l’annonce et elle se lisait noir sur blanc dans le communiqué de presse.

La CAQ a toujours prétendu que le nombre d’immigrants était indissociable de la capacité d’intégration et de francisation du Québec.

La déclaration de M. Legault sur la survie de la nation faisait un lien avec le français. Tant que le déclin de notre langue n’est pas arrêté, une hausse sera dangereuse, soutenait-il.

Si Mme Fréchette songe à augmenter l’immigration, en contrepartie, elle la rendrait plus francophone. Certes, cette mesure ne va pas renforcer le français. Mais, au minimum, elle va en ralentir le rythme du déclin.

C’est l’autre gros morceau de son annonce : le « qui ».

Désormais, les candidats à l’immigration économique – qui exclut les demandeurs d’asile et les réunifications familiales – devront tous prouver leur maîtrise du français. Les exigences seront pour l’oral au minimum et pour l’écrit dans certaines professions. Quelques exceptions sont prévues pour des « talents » recherchés dans des métiers de pointe – on pense notamment à des universitaires ou à des spécialistes pour la filière des batteries.

Cela allégera la pression sur les services de francisation. Reste à voir si la création de Francisation Québec améliorera l’accès aux cours. Le lancement de ce bureau se fera d’ici le 1er juin. La francisation en entreprise pourrait enfin être bonifiée – elle est cruciale pour joindre les employés qui n’ont pas le temps, après une dure journée au travail, de s’asseoir sur un banc d’école.

Mme Fréchette a subtilement corrigé plusieurs couacs de son parti. Par exemple, elle défait la réforme caquiste du PEQ. Les étudiants n’auront donc pas besoin d’avoir travaillé pendant une année et d’occuper un emploi avant de poser leur candidature pour cette voie rapide. En contrepartie, la ministre ajoute une exigence. Cette option sera dorénavant réservée aux étudiants ayant suivi leurs cours en français.

Ce n’est pas ainsi qu’on va renverser la concurrence déraisonnable des universités McGill et Concordia avec leurs rivales francophones. Montréal continuera de former son élite en anglais tout en prétendant être la « métropole francophone des Amériques ». Ce n’est pas énorme, donc, mais c’est un début.

Mme Fréchette touche peu à l’immigration temporaire dans son plan. Elle veut prendre le dossier un morceau à la fois. En coulisses, les caquistes cherchent comment ajouter de nouvelles exigences en français pour les catégories temporaires, et on devine que ce n’est pas simple.

N’empêche qu’on ne peut que s’étonner de l’évolution du discours caquiste. En mai 2022, pour éviter la « louisianisation » du Québec, M. Legault réclamait d’urgence à Ottawa de lui céder tous les pouvoirs en immigration. Il n’excluait pas de faire un référendum sectoriel. Une année plus tard, il se contente des leviers existants et se concentre à trouver la meilleure façon de les utiliser.

On regarde la stratégie électorale qui misait sur l’émotion, on la compare avec l’annonce de jeudi et on se dit : tout ceci pour cela…

Au moins, Mme Fréchette avance méthodiquement. Son travail n’est pas terminé, mais elle a déjà réussi un petit exploit : sauver la face de son gouvernement tout en élaborant un plan raisonnable qui servira de base pour un débat plus factuel que symbolique.