Vous avez peut-être lu ce terrible fait divers, en fin de semaine, celui d’une jeune femme happée mortellement par ce qui ressemble à un chauffard ivrogne, dans la Petite Italie.

La Presse : « Une piétonne dans la trentaine a perdu la vie dimanche après avoir été happée lors d’une collision “à haute vitesse” impliquant deux véhicules, dont l’un des conducteurs a été arrêté pour conduite avec les facultés affaiblies… »

La piétonne, c’est Fabienne Houde-Bastien, 31 ans.

Andréane, une de ses trois sœurs, m’a écrit, lundi : « La douleur de la famille est indescriptible. Ce n’est pas seulement une piétonne qui est morte. C’est une sœur, une amie, une tante. Ce sont aussi des rêves, des projets et des plans d’avenir qui sont partis avec elle. Je me demandais si vous aimeriez écrire une chronique sur ma formidable sœur… »

Le lendemain soir, j’étais dans la cuisine de Fabienne où m’attendaient Yanick, Jasmine et Andréane.

Autour de la table de cuisine de Fabienne, elles parlent de Fabienne.

Les sœurs Houde-Bastien en parlent au présent, ce n’est jamais anormal chez les gens qui viennent de perdre un être cher.

Andréane (34 ans), Jasmine (33 ans) et Yanick (29 ans) rient, parfois, en se racontant des anecdotes drôles à propos de leur sœur…

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE HOUDE-BASTIEN

Fabienne Houde-Bastien, jeune, avec sa famille

Comment Fabienne couvait ses neveux et nièces, particulièrement le fils de Jasmine, William, alias Wiwichou, « mon best bud », comme elle l’appelait. Elle le traînait souvent au Marché Jean-Talon, pour une crème glacée…

Le Marché, le centre de gravité de Fabienne.

Avec l’épicerie Milano, non loin.

Et les cafés latte au Caffe Italia…

Fabienne, qui marchait tout le temps. Qui courait. Qui roulait en BIXI. Qui haïssait l’automobile, au point de renouveler son permis de conduire temporaire depuis ses 17 ans, si bien que la photo sur ledit permis la montrait adolescente…

Ses expressions fétiches, comme « Ça va changer ta vie ! » qu’elle lançait à ses sœurs, en sachant très bien qu’elle sombrait dans l’hyperbole, il n’était après tout question que d’un cuiseur de riz, d’un Soda Stream ou d’une couverture lourde anti-anxiété…

Andréane, Jasmine et Yanick me montrent des photos de leur sœur, d’elles avec leur sœur, avec leurs parents. Je vous parle d’un quatuor de sœurs qui, même adultes, chaque dimanche – CHAQUE dimanche – se réunissaient chez leurs parents, Brigitte et François, dans Côte-des-Neiges, juste pour être… ensemble.

Avec les enfants d’Andréane et de Jasmine, et leurs conjoints.

Samedi dernier, c’était une exception dans sa routine, Fabienne était sortie avec des amies, elle avait envie de danser. Le samedi soir, généralement, Fabienne se couchait tôt, pour deux raisons…

Un, le dimanche, elle préparait sa semaine à venir.

Deux, elle voulait être en forme pour la journée avec la famiglia.

Et de Villeray, généralement, c’est en jogging qu’elle ralliait la maison de ses parents, dans Côte-des-Neiges.

Imaginez la maison du clan Houde-Bastien, dans Côte-des-Neiges.

La maison où les quatre sœurs ont grandi, la seule qu’elles aient connue, comme famille.

Et dimanche matin, très tôt, ça a cogné à la porte. Il était 7 h.

Les parents d’Andréane, Jasmine, Fabienne et Yanick ont ouvert et ont perdu le souffle en voyant les deux agents du SPVM.

Ils ont su, tout de suite. La police ne cogne pas chez vous sans raison à 7 h du matin, un dimanche.

La seule chose, terrible, qui restait à établir…

Laquelle de leurs filles était morte ?

Un des policiers a demandé : « Savez-vous où est Fabienne ? »

Elles ont convergé vers l’hôpital du Sacré-Cœur, alertées par leurs parents. Andréane, Jasmine et Yanick sont arrivées à des moments différents, avec leurs chums.

Et chaque fois, une infirmière les attendait pour dire les mots, délicatement.

Pendant quatre heures, Fabienne a été cajolée, touchée, embrassée.

Les sœurs, dans la cuisine de Fabienne, me disent toutes la même chose : Fabienne avait juste l’air de dormir. Blessée, meurtrie, oui. Mais là, quasiment intacte.

Jasmine : « On lui a parlé. On lui a dit qu’on l’aimait. »

Yanick : « On lui a touché les mains, les joues. Je la trouvais magnifique. »

Les sœurs ont un message pour les infirmières qui se sont occupées du clan Houde-Bastien, dimanche, à Sacré-Cœur : merci pour votre douceur, pour votre humanité.

Après être sorties de Sacré-Cœur, Yanick, Jasmine et Andréane, avec leurs parents, ont mis le cap sur la Petite Italie. Elles voulaient voir le lieu de l’accident. Elles voulaient aller au Milano, au Caffe Italia.

Elles sont allées acheter un bouquet de fleurs disparates, au Marché Jean-Talon, bouquet qu’elles ont déposé au pied d’un panneau indicateur renversé par une des voitures impliquées dans l’accident qui a tué Fabienne.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE HOUDE-BASTIEN

Les sœurs ont déposé un bouquet au pied d’un panneau indicateur renversé par une des voitures impliquées dans l’accident qui a tué Fabienne.

Les sœurs sont retournées coin Jean-Talon/Saint-Laurent, plus tard.

Et mardi, des pompiers y étaient, pour nettoyer le reste de sang rouge sur la chaussée. Andréane était là, vers 17 h. Les pompiers lui ont dit qu’ils savaient qu’une jeune femme était morte ici, au petit matin, dimanche…

J’avais des questions… J’ai demandé à celui qui semblait être le capitaine si… Si ma sœur avait été seule. Sa réponse : non, nos gars sont arrivés très vite. Ils ont commencé les manœuvres, puis les ambulanciers sont arrivés…

Andréane Houde-Bastien, sœur de Fabienne

Ça a rassuré Andréane de savoir que des humains étaient là, pendant que la vie quittait Fabienne.

Le pompier, solide au début de la conversation avec Andréane, avait les yeux pleins d’eau, à la fin.

On ne s’habitue pas, lui a-t-il dit.

Autour de la table, les sœurs Houde-Bastien rient doucement, en se remémorant à nouveau la vie de Fabienne. Un jeune homme s’approche petit à petit, après avoir passé le début de l’entrevue dans le salon, en retrait. Damien, l’ex-copain de Fabienne, mais toujours ami.

Chacun y va de son anecdote, on renchérit. Les filles remercient Damien, qui a sorti Fabienne de sa zone de confort, elle qui se battait contre l’anxiété. Elles le vantent : les voyages, la Suède, la Malaisie, l’Amérique du Sud, c’est grâce à toi, Damien, sans toi, elle n’aurait jamais osé…

Le jeune homme sourit.

Plus tôt, les sœurs ont ouvert l’appart pour ses amis, en leur disant : prenez ce que vous voulez, prenez un souvenir de Fabienne…

Chacun est reparti avec une photo, une toile, un objet ménager. Je pense à la phrase de Victor Hugo : « Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis. »

Il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui peuvent dire cela, aujourd’hui, de Fabienne Houde-Bastien.

Après la soirée au bar Cobra, sur Saint-Laurent, ses amies ont pris un taxi. Ont demandé à Fabienne si elle voulait monter avec elles…

Fabienne étant Fabienne, elle a choisi de marcher.

Elle a mis le cap vers le nord, vers chez elle, rue Berri.

Elle a monté Saint-Laurent, à pied…

Et le reste est dans les faits divers que vous avez lus.

L’homme arrêté et accusé pour la mort de Fabienne s’appelle Vi Trung Ngo, 47 ans, de Montréal-Nord. Il a été accusé de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort.

Dans la cuisine de Fabienne, je demande aux sœurs Houde-Bastien si elles ont des sentiments particuliers envers le suspect…

Yanick : « Aujourd’hui, on a choisi les vêtements de Fabienne, pour le salon. On est sur le pilote automatique. On a zéro espace mental pour lui. »

Jasmine : « Au procès, je vais vouloir que cet homme voie mon visage, pour que ça l’empêche de dormir… »

Ce qu’Andréane, Yanick et Jasmine veulent, en prenant la parole publiquement, en prêtant vie à Fabienne, c’est de raconter qui elle était, au-delà de ce drame. Une sœur, une amie, une tante, une femme pleine de vie.

— Pour que les comportements changent, dit Yanick.

— Pour qu’elle ne soit pas juste vue comme « une piétonne » ?

— Exactement.