Voici la nouvelle que Québec solidaire (QS) attendait.

Grâce à sa victoire dans Saint-Henri–Sainte-Anne, sa léthargie se transforme en dégel quasi printanier. Ses députés retourneront énergisés ce mardi à l’Assemb­lée nationale.

Pour la première fois de son histoire l’automne dernier, le parti de gauche a plafonné. Il a perdu 15 000 votes. Il avait fait élire un député de plus, mais c’était grâce à la déconfiture libérale.

On se demandait si les solidaires avaient atteint un plateau, voire un mur. Ils viennent de prouver que leur croissance n’est pas finie.

Quelques jours avant le vote, des libéraux rappelaient que rien n’était gagné. Ils étaient alors à égalité statistique avec QS. Finalement, ce n’était même pas serré. Quelque chose s’est passé lundi dans SHSA, une circonscription aux quartiers hétérogènes. En vérifiant dans les prochains jours d’où venaient les votes, on comprendra mieux.

Tirer des conclusions d’une élection partielle est toujours périlleux. Il s’agit d’un microclimat, et celle-ci ne fait pas exception.

Les militants libéraux étaient doublement démotivés. Ils n’avaient pas de chef permanent – le chef intérimaire Marc Tanguay n’a pas le mandat de donner une direction claire à ses troupes. Et après avoir vu leur cheffe et députée locale Dominique Anglade malmenée par ses collègues, certains avaient sûrement moins envie de se rendre au bureau de scrutin.

Cela explique en partie la déconfiture du Parti libéral (PLQ). Mais il y a plus. À l’échelle du Québec, les appuis du PLQ auprès des francophones commencent à se rapprocher de la marge d’erreur. Ce déclin s’est sans doute aussi observé dans SHSA, qui compte 59 % de francophones (selon la langue le plus souvent parlée à la maison).

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le chef intérimaire du Parti Libéral, Marc Tanguay, et le candidat libéral défait, Christopher Baenninger

Cela libérait de la place pour QS, qui voulait incarner l’opposition progressiste au gouvernement Legault. Le parti l’a prise en entier.

Cette victoire est d’abord celle d’un candidat connu dans le quartier, Guillaume Cliche-Rivard. Après avoir fait campagne contre Mme Anglade l’automne dernier, il récolte ce qui était déjà semé. Ce n’était pas le cas de son opposant libéral, Christopher Baenninger.

M. Cliche-Rivard avait aussi déjà une certaine notoriété en tant qu’ancien président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration – il commente souvent ces enjeux dans les médias. Il se démarque par sa rigueur, son talent de vulgarisateur et son ton respectueux. Même ceux qui ne partagent pas ses idées doivent le reconnaître : il enrichira le débat à l’Assemblée nationale.

Même si QS jubile, en coulisses, certains remarqueront que ce parti féministe compte désormais huit députés hommes pour quatre femmes. Au dernier conseil national, ce déséquilibre faisait des mécontents.

Reste qu’une victoire est préférable à une défaite. Gabriel Nadeau-Dubois, qui subira un vote de confiance l’automne prochain, respire soudainement un peu mieux.

La victoire dans SHSA est aussi celle d’un parti qui se professionnalise. Dans les dernières années, Québec solidaire s’est bâti une organisation. Près de 700 bénévoles parcouraient le terrain durant cette élection partielle. Ils identifiaient leurs sympathisants, cognaient à leur porte, les appelaient et les incitaient à voter. Quand le taux de participation est faible, cela fait une grosse différence.

Après Verdun, le PLQ vient de perdre un autre château fort à Montréal.

Les libéraux rétorqueront que les quartiers de Montréal changent vite. En effet, le SHSA de 2023 ressemble peu à celui d’il y a 20 ans. Mais cela n’explique pas pourquoi les allophones et les anglophones les ont boudés.

Cette défaite n’aidera pas à attirer de bons candidats dans la course à la chefferie libérale. Le parti n’était déjà pas pressé de l’organiser, et il risque d’avoir plus que jamais envie de prendre son temps.

Le Parti québécois (PQ) ne doit pas trop être déçu. En 2018 et en 2022, il avait terminé au quatrième rang. Cette fois, il a augmenté ses appuis, assez pour se faufiler en troisième place devant la Coalition avenir Québec (CAQ). Sa jeune candidate Andréanne Fiola donne de l’espoir pour la relève. Mais tout dépend des attentes. Si les péquistes voulaient rebondir, c’est mission réussie. S’ils souhaitent atteindre les sommets passés, ils en sont encore loin. En 2014, ils avaient obtenu plus de 20 % des votes dans SHSA. Et en 2012, plus de 30 %.

La CAQ n’avait pas de chance de gagner. Son candidat de la précédente campagne avait déménagé. Elle a présenté le président de son aile jeunesse, qui n’a même pas assisté aux débats – il étudiait à l’université le soir.

S’il y a un avertissement pour le gouvernement Legault, c’est pour le logement. Dans SHSA, les patateries côtoient désormais les cafés qui vendent leur latté avec un cœur à six dollars. L’embourgeoisement a été rapide et brutal pour les locataires.

C’était au cœur de la campagne de M. Cliche-Rivard, et ce n’est pas étranger non plus à la victoire de sa collègue Alejandra Zaga Mendez dans Verdun en octobre dernier.

Québec solidaire poursuit sa percée dans l’Ouest de Montréal, mais son défi dans les régions demeure. Au moins, le parti recommence à sentir une petite brise dans son dos. Tandis que pour les libéraux, le vent est devenu frontal et il fouette.