Les deux gars sont arrivés par-derrière et lui ont passé un bas de hockey sur la tête. Ils l’ont roué de coups, jusqu’à ce qu’il s’écroule. Après, ils ont scotché ses bras à un bâton de hockey, comme s’ils s’apprêtaient à le crucifier. Ils l’ont traîné dans les douches et l’ont poussé sous l’eau bouillante. Ils ont relié un lacet entre son pénis et sa cheville, l’obligeant à garder sa jambe levée. Et ils l’ont laissé là, tout seul.

Quand il n’a plus été capable de tenir, il a abaissé sa jambe et la peau de son pénis s’est déchirée. Il saignait. Il est resté sous l’eau pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que le ruban adhésif soit assez ramolli pour lui permettre de se libérer.

J’ai lu cette histoire d’horreur dans un récent jugement de la Cour supérieure de l’Ontario, et j’ai pensé à Guantánamo. J’ai pensé à des prisonniers de guerre torturés, humiliés et déshumanisés dans une zone de non-droit.

Mais non, ça se serait bien passé ici, au Canada. Dans le vestiaire d’une équipe de hockey junior. Il s’agit du témoignage d’un ancien joueur, qui affirme être resté profondément traumatisé de son expérience.

Mais bon, c’était juste pour rire, hein ? Pas de quoi en faire tout un scandale, ça faisait partie du jeu…

Dans sa décision, le juge Paul Perell rejette la demande d’action collective de trois anciens joueurs, pour qui les ligues juniors du Canada ont fermé les yeux sur toutes sortes d’initiations dégradantes au fil des ans.

Le jugement a néanmoins le mérite d’exposer dans toute sa laideur, une fois de plus, la culture toxique du monde du hockey junior dans ce pays.

C’est Martin Leclerc, chroniqueur sportif à Radio-Canada, qui a dévoilé lundi les grandes lignes de ce jugement de 103 pages, rendu le 3 février. Son texte-choc nous mettait en garde : ça ne serait pas facile à lire.

Et c’était vrai. Les témoignages d’anciens joueurs sont atroces. Il fallait pourtant en exposer les détails.

Sans quoi, trop de gens auraient eu le réflexe de se dire : bof, ce ne sont que des initiations. Ça fait partie de nos bonnes vieilles traditions. Mieux, c’est un rite de passage, destiné à faire des hommes de nos enfants.

La réalité, c’est que si ces « initiations » avaient eu lieu n’importe où ailleurs que dans un vestiaire de joueurs, elles auraient été passibles de plusieurs années de prison.

On parle ici d’agressions sexuelles graves, de voies de fait avec lésions, d’agressions armées, de séquestration, de menaces…

Et on parle de victimes mineures.

Il n’y a pas un enfant, ni un parent au Canada, qui a signé pour ça. Quand un papa ou une maman accepte de se lever à 5 h pour l’entraînement à l’aréna, c’est pour que son enfant s’épanouisse dans le sport. Pour qu’il apprenne la valeur du travail d’équipe.

Pas pour qu’il se fasse torturer par les autres joueurs, sous l’œil amusé du personnel de l’équipe. Et pourtant, trop souvent, il semble que ce soit très exactement ce qui se passe.

Dans le jugement, un ancien hockeyeur soutient avoir été déshabillé, attaché à une table, puis fouetté. « Les joueurs urinaient sur nous et nous lançaient des objets. L’entraîneur est entré, il a vu ce qui se passait et est ressorti en riant. »

Les bâtons de hockey insérés dans l’anus, les joueurs entassés dans les toilettes de l’autocar… les adultes savaient ce qui se passait. Ils ne pouvaient pas ne pas le savoir.

Tous ces sévices, écrit le juge Perell, ont été « encouragés, négligés, tolérés, camouflés ou, de manière lâche et irresponsable, ignorés » par le personnel d’équipes juniors du Canada.

Comment ces joueurs maltraités ont-ils pu regarder leurs bourreaux dans les yeux, après ça ? Et leurs entraîneurs ? Ceux qui savaient, mais n’ont rien fait ?

Ceux qui sont ressortis du vestiaire en riant ?

Le juge Perell refuse d’autoriser l’action collective, puisque la responsabilité des 60 équipes juniors du pays n’a pas été établie. Il estime plus juste que chaque cas soit traité de manière individuelle. « La présente poursuite porte sur des préjudices flagrants perpétrés sur des enfants, et les personnes ou entités fautives doivent être punies », écrit-il.

En effet, ces histoires sont trop graves pour qu’on en reste là. Et c’est précisément pour ça qu’il faut toutes les entendre. Pour ne rien laisser passer.

« L’action des plaignants présuppose que tous les défendeurs partagent la même culture virulente du hockey amateur canadien », écrit le juge Perell. Cela, souligne-t-il encore, n’a jamais été prouvé.

Reste que tout ça commence un peu, beaucoup à ressembler à un problème systémique. Lundi, les politiciens de tous les horizons réclamaient un changement de culture dans le monde du hockey junior. Encore une fois.

Action collective ou pas, il faut que ça change, et pour de bon. Les joueurs – et les adultes chargés de les encadrer – doivent s’enlever de la tête une fois pour toutes que les abus en tous genres font partie de la game. Il est plus que temps.