(Montréal et Ottawa) Violences physiques et psychologiques. Torture. Humiliation. Sévices sexuels. Séquestration.

De nouvelles révélations concernant des actes sordides commis au cours des dernières décennies plongent une nouvelle fois le hockey junior canadien dans la tourmente.

Le 3 février dernier, le juge Paul Perell, de la Cour supérieure de l’Ontario, a rejeté une demande de recours collectif déposée par trois plaignants au nom des 15 000 joueurs ayant été associé, depuis 50 ans, à l’une ou l’autre des 60 équipes de la Ligue junior de l’ouest (WHL), de la Ligue junior de l’Ontario (OHL) ou de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Les plaignants principaux, eux-mêmes d’ex-joueurs canadiens, dénonçaient la négligence dont ont fait preuve les organisations et leur personnel devant les abus répétés visant des joueurs, surtout les plus jeunes, au fil des ans.

Bien qu’il justifie son refus de recevoir le recours par des raisons d’ordre technique, le magistrat ne remet pas en doute la véracité des témoignages déposés en preuve. Dans sa décision, il inclut d’ailleurs les extraits de six dépositions, dont les détails donnent froid dans le dos. La nouvelle était, jusqu’à lundi matin, passée sous le radar médiatique québécois. C’est le chroniqueur Martin Leclerc, de Radio-Canada, qui a été le premier à l’évoquer.

Dans le document de 103 pages, que La Presse a aussi obtenu, le juge Perell décrit des gestes « dont ont été témoins » des joueurs, entraîneurs ou gestionnaires d’équipes juniors canadiennes, ou qui ont été « encouragés, négligés, tolérés, camouflés ou, de manière lâche et irresponsable, ignorés » par ces personnes. La demande de recours collectif visait toutefois les équipes et les ligues, et non des suspects spécifiquement.

Les actes sont surtout liés à l’initiation de joueurs recrues, donc mineurs. Certains n’étaient âgés que de 15 ans au moment des faits.

Les témoignages font l’étalage de bâtons de hockey insérés dans l’anus, de mutilation de parties génitales, de victimes aspergées d’urine ou forcées de se lancer des excréments ainsi que de séances répétées d’humiliation. Autant de gestes qui, disent les joueurs, ont hanté leur vie adulte.

L’un d’eux raconte en outre avoir été séquestré pendant plusieurs heures avec sept coéquipiers dans une toilette d’autobus. Il porte encore aujourd’hui les séquelles de cette expérience, ayant développé des troubles de claustrophobie qui l’empêchent de prendre l’avion sur une trop longue distance, par exemple.

« Ça arrête maintenant », prévient St-Onge

À Ottawa, la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, en a appelé à la fin des pratiques d’initiation décrites par le document judiciaire et d’abord rapportées par Radio-Canada.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Sports, Pascale St-Onge.

« Ça n’a pas d’allure. Ces situations-là, c’est carrément de l’abus, c’est de la maltraitance. Je ne comprends pas qu’il y a des adultes qui ont été témoins de ça et qui ont laissé ces évènements-là se produire », a-t-elle lâché en mêlée de presse.

« Mon message est clair aujourd’hui : les initiations doivent cesser – dans tous les sports, pas juste au hockey [...] Des initiations comme ça, c’est de l’abus, c’est des mauvais traitements, ça doit être interdit », a ajouté la ministre, en marge de sa comparution devant le Comité permanent de la condition féminine..

« J’invite – pas juste j’invite, mais je demande – à tous les adultes qui sont impliqués dans le sport de mettre un terme à ça. C’est facile à changer. C’est facile à arrêter. Ça arrête maintenant », a-t-elle ajouté.

Invitée à préciser ce qu’elle pourrait poser comme geste, au-delà des paroles, la ministre St-Onge a dit qu’elle « regard[ait] tous les moyens à [sa] disposition pour intervenir dans ce genre de situation-là et pour prévenir les abus et les mauvais traitements de façon générale. »

Mais les initiations, « c’est quelque chose d’assez simple à régler », a-t-elle encore insisté.

La ministre québécoise de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a soutenu que Québec n’entend pas, pour l’heure, interdire les initiations en milieu sportif à la grandeur de la province, notamment au niveau collégial.

« Pour l’instant, on n’en est pas là, mais ça peut faire partie d’une réflexion. […] La réflexion se poursuit et les actions (aussi), puis on verra éventuellement s’il faut sévir à ce niveau-là », a-t-elle répondu lorsqu’interpellée à ce sujet au cours d’une conférence de presse, à Montréal, visant à annoncer un plan de lutte contre les violences sexuelles dans les cégeps et universités.

Mme Déry a affirmé qu’un changement de culture est déjà en train de s’opérer, mais qu’il doit survenir « encore plus rapidement au sein des équipes sportives ».

Elle a mentionné que des « formations obligatoires » sont en place et que « des enquêtes sont menées » lorsque son ministère ainsi que celui d’Isabelle Charest, ministre responsable du Sport, sont mis au courant « d’initiations qui dérapent ».

Les ministres provinciaux et territoriaux du Sport rencontreront leur homologue fédérale plus tard cette semaine aux Jeux du Canada.

Demande rejetée

La demande de recours collectif avait d’abord été déposée en juin 2020 par les anciens joueurs Daniel Carcillo et Garrett Taylor. Stephen Quirk, qui a évolué dans la LHJMQ de 1995 à 1998 avec les Alpines de Moncton (devenus les Wildcats) et les Mooseheads d’Halifax, s’est ajouté au nombre des plaignants principaux. Au cours des mois suivants, les témoignages de 16 joueurs ont été déposés en preuve. Du groupe, M. Quirk est le seul à avoir évolué dans la LHJMQ.

Les défendeurs ont aussi fourni une série de déclarations sous serment, notamment celles de Gilles Courteau et d’Éric Chouinard, respectivement commissaire et directeur du département de la sécurité des joueurs de la LHJMQ.

Après avoir examiné l’affaire, le juge Perell a rejeté la demande de recours collectif. Il invoque notamment le fait que les trois plaignants principaux ont, ensemble, évolué pour cinq équipes junior canadiennes. Comme les 60 clubs du pays sont visés, des plaignants associés à chacune des organisations devraient être à la tête d’un potentiel recours. Le magistrat explique la difficulté d’identifier un phénomène culturel et systémique présent dans des équipes de provinces différentes qui n’ont virtuellement aucun lien entre elles. « L’action des plaignants présuppose que tous les défendeurs partagent la même culture virulente du hockey amateur canadien », écrit-il, s’inscrivant en faux avec cette vision.

Bien que l’ensemble des défendeurs ne puisse être poursuivi comme une entité unique pour sa « négligence systémique », chacune des organisations et des ligues peut l’être individuellement, estime-t-il.

« La présente poursuite porte sur des préjudices flagrants perpétrés sur des enfants, et les personnes ou entités fautives doivent être punies », écrit encore le juge Perell.

Or, il ajoute que malgré la « noble quête de nettoyer le hockey » de MM. Carcillo, Taylor et Quirk, « il est fondamentalement injuste de punir des équipes pour quelque chose que quelqu’un d’autre a fait ».

Dans un communiqué, la Ligue canadienne de hockey (LCH), instance unissant les trois ligues juniors du pays, a salué la décision de la cour de rejeter la demande de recours collectif. Cela étant, la Ligue assure prendre « au sérieux » les gestes décrits. Personne « ne devrait agir avec impunité », écrit-on. « Nous croyons que tout joueur ayant été victime d’un comportement fautif de la part de coéquipiers [pendant sa carrière junior] mérite un accès à la justice. »

La LCH souhaite aussi la création d’une « procédure » destinée à déterminer les compensations à verser aux victimes ainsi que la responsabilité à imputer aux coupables.

Avec La Presse Canadienne

Des témoignages choquants

Dans sa décision, le juge Paul Perell reproduit six déclarations formulées par d’ex-hockeyeurs à propos des sévices qui leur ont été imposés pendant leur carrière junior. Voici des extraits de ces témoignages anonymes, dont certains détails sont particulièrement choquants.

Des vétérans se moquaient de moi, me disant que j’allais être initié. Le directeur général m’a dit de ne pas être une « mauviette » [pussy, NDLR].

Je me suis fait sauter dessus dans le vestiaire. Ils m’ont jeté sur une table, sur le dos. Ils m’ont bandé les yeux. Je pouvais les sentir uriner sur moi. Ils ont attaché une corde autour de mon pénis, l’ont jetée par-dessus une barre au-dessus de moi et ont attaché un sac de rondelles de l’autre côté. Ils ont jeté des rondelles dans le sac, qui devenait de plus en plus lourd. C’était très douloureux.

J’ai été attaché nu à une table et fouetté avec ma propre ceinture pendant que tout le monde regardait. […] L’entraîneur est entré et a commencé à me fouetter aussi.

Sous la douche, j’ai été forcé de m’asseoir nu avec les autres recrues, les parties génitales contre les fesses des autres. Ils nous ont fait chanter « rame, rame, rame ! ». Les joueurs urinaient et nous lançaient des choses. L’entraîneur est entré, a ri et est sorti.

Je me souviens de la recherche de pommes dans l’urine des autres joueurs. Nous devions tous le faire. J’ai subi des abus et j’en ai été témoin dans chacune des équipes pour lesquelles j’ai joué.

On m’a mis dans la « boîte de sudation » [sweat box, NDLR] dans l’autobus de l’équipe. Ils nous ont déshabillés, à l’exception de nos sous-vêtements, et nous ont envoyés à huit dans les toilettes du bus. Ils nous ont tous aspergés de Pepsi, donc tout est collant. J’ai eu une véritable attaque de panique. Nous sommes restés là pendant des heures. Certains des autres gars semblaient devenir fous eux aussi. Ç’a été l’une des pires expériences de ma vie. Le personnel de l’équipe a tout vu. Je crains encore les espaces clos. Je ne peux pas voler sur de longues distances. Je dois descendre des ascenseurs s’ils sont trop encombrés.

Nous sommes allés dans le vestiaire pour prendre une douche. Les vétérans nous ont alignés, nous ont dit de nous déshabiller et se sont moqués de nos organes génitaux. Je n’avais que quinze ans.

Chaque recrue devait faire un strip-tease devant les joueurs plus âgés. Le joueur qui « perdait » était agressé verbalement. Les abus étaient quotidiens. Les recrues étaient des « mauviettes », des « salopes » ou des « pédés ». C’était constant. Les jeunes joueurs étaient considérés comme des citoyens de seconde zone.

Ils m’ont traîné à travers la pièce et m’ont mis sous l’eau bouillante dans la douche. Ils ont attaché un lacet de patin à mon pénis. Ils ont apporté un porte-manteau dans la douche et ont jeté le lacet dessus, et ont attaché l’autre côté à ma cheville, qui était suspendue dans les airs. Je devais garder ma jambe levée, sinon cela tirait sur mon pénis. Ma jambe est devenue fatiguée, et en s’abaissant, elle a tiré sur mon pénis jusqu’à ce que la peau se brise. Ils m’ont laissé sous la douche pendant plus d’une heure jusqu’à ce que le ruban soit assez mou pour se détacher.

Les jeunes joueurs devaient jouer pour les plus âgés sur une scène. Les plus âgés déféquaient sur la scène et obligeaient les recrues à se jeter leurs excréments. […] Les garçons devaient lire le magazine Penthouse. Selon le « jeu », si vous aviez une érection, ou si vous n’en aviez pas, vous étaient sévèrement punis.

J’ai été agressé sexuellement environ quarante fois en neuf mois. J’ai été déshabillé et suspendu, la tête en bas, à l’arrière de l’autobus. Les joueurs ont enfoncé des bâtons de hockey et d’autres objets dans mon anus. Ils couvraient les bâtons de chaleur liquide avant de les insérer, ce qui était atroce. Ils en ont également étendu sur mes parties génitales. Je suis resté là pendant des heures. J’ai tellement souffert que j’essayais d’appuyer mes organes génitaux et mon anus contre la vitre arrière pour me soulager avec la condensation sur la fenêtre.