La bonne nouvelle, c’est que Corey Hirsch va mieux.

Il va mieux, par exemple, que la fois où il a songé à se lancer dans le vide avec sa voiture, sur le bord d’une route sinueuse de la Colombie-Britannique, parce qu’il faisait trop noir dans sa tête. Il va mieux que la fois où il a dit à sa mère qu’il n’allait pas, parce qu’il ne voulait le dire à personne d’autre. Il va mieux que la fois où il ne voyait plus rien lors d’un entraînement avec les Rangers.

En fait, c’est cette fois-là qu’il a compris qu’il n’allait plus.

« À New York, je faisais des crises d’anxiété, et j’étais au bout du rouleau, raconte-t-il en entrevue vidéo. Puis il y a eu ce moment, alors que j’étais devant le filet, lors d’un entraînement le jour d’un match. On devait jouer contre les Devils ce soir-là, et je n’arrivais plus à voir les rondelles. Les gars tiraient sur moi, et je ne voyais rien. Plus tard, j’ai compris qu’il y avait un nom à ça : la dépersonnalisation. »

Le phénomène, « un peu comme quand tu as l’impression que ton cerveau est en train de frire », explique-t-il, l’a forcé à aller voir la direction du club pour demander un congé. Le moment le plus embarrassant de sa vie, de son propre aveu.

« Plus tard, j’ai fini par demander de l’aide. Pour sauver ma propre vie… »

Fort heureusement, aujourd’hui et à l’âge de 50 ans, Corey Hirsch a l’air de se porter mieux, beaucoup mieux. Après avoir quitté un poste d’analyste radio aux matchs des Canucks, cet ancien gardien a refait sa vie, et depuis peu, il est conférencier et auteur. En octobre, il a fait paraître The Save of My Life : My Journey Out of the Dark, un livre qui décrit sa bataille face aux démons dans sa tête, et face à ce qui l’a tant rongé : son trouble obsessionnel compulsif.

Point de rupture

L’homme que l’on voit assis devant nous, au loin et à l’écran, quelque part en Colombie-Britannique, ne semble conserver aucune séquelle de ces bagarres face à lui-même. Il affirme qu’il va mieux, et qu’il est fier de lui, fier de la suite.

Il avait été, en 1991, un choix de huitième tour des Rangers, le 169e au total. Cinq ans plus tard, il a été nommé gardien de l’équipe d’étoiles des recrues de la LNH, deux ans après un certain Martin Brodeur.

Mais avant, il y a eu ce passage rapide chez les Rangers, le temps de seulement quatre matchs. Au printemps 1994, il est le troisième gardien du club, qui aspire enfin à un premier triomphe en plus de 50 ans.

Et c’est là qu’il craque.

Je ne voulais parler à personne et j’étais toujours seul dans mon coin. Je ne me mêlais pas aux autres, j’arrivais en retard aux réunions. Personne ne savait comment réagir. J’ai fini par perdre 25 livres. J’étais rendu un gardien de 150 livres qui essayait de jouer dans la LNH…

Corey Hirsch

Il se souvient d’une fois où il a essayé de se fracturer une main en la frappant lui-même à coups de bâton de hockey. Parce qu’il voulait que la direction des Rangers le renvoie chez lui.

« Personne ne voulait parler de santé mentale à l’époque, encore moins dans le cas d’un gardien ! Imaginez un club qui aurait eu un gardien avec des problèmes de santé mentale devant le filet… Il fallait être un dur de dur pour survivre dans cette ligue. Je savais que si je disais quoi que ce soit, ma carrière dans la LNH se terminerait. »

Il décide donc de ne rien dire, sauf une fois à sa mère, à qui il confiera son envie de se jeter du haut de l’Empire State Building.

« Il y a des gars des Rangers qui m’ont appuyé. D’autres qui m’ont traité comme un lépreux, et d’autres qui étaient juste indifférents. Mais je ne peux pas le leur reprocher parce que je ne disais rien. Alors j’avais l’air d’être un mauvais coéquipier. »

La peau sur les os

C’est seulement quelques années plus tard, alors qu’il est chez les Canucks de Vancouver, que Corey Hirsch finit par demander de l’aide. C’est l’un des thérapeutes du club qui le force à le faire. Un peu avant, l’attaquant Martin Gélinas avait sursauté en le voyant sortir de la douche. « Il me restait juste la peau et les os… »

Le pire, c’est que sur la glace, le gardien a alors l’air en pleine forme : à son année de nomination au sein de l’équipe d'étoiles des recrues, en 1995-1996, il affiche une moyenne de 2,93 et un taux d’arrêts de ,903 en 41 rencontres dans le maillot des Canucks.

« J’avais des pensées suicidaires, poursuit-il, et ce qui est assez incroyable, c’est que je jouais bien ! Ce n’était pas le hockey, le problème. Le hockey m’a sauvé la vie, parce que j’y ai appris la résilience, j’y ai appris l’importance de toujours faire un pas en avant. Le problème, c’était les gens autour, certains d’entre eux, en tout cas. Il y a aussi de très bonnes personnes dans le monde du hockey, mais cette réputation est ternie par ceux qui ne sont pas de bonnes personnes, qui veulent profiter des autres… »

Vider son sac

Hirsch, malgré tout, continue son chemin. Après Vancouver, il passe en coup de vent à Washington et Dallas, avant de retourner dans les rangs mineurs, et de conclure son parcours en Europe, en 2005-2006, avec un club de Suède.

Il affirme qu’il lui a fallu 20 ans, au moins, pour être capable de raconter son histoire, d’abord dans un texte paru sur le site Player’s Tribune, en 2017.

PHOTO TIRÉE DU SITE OFFICIEL DE COREY HIRSCH

L’ancien gardien de la LNH Corey Hirsch est aujourd’hui conférencier et auteur. En octobre, il a fait paraître un livre qui décrit sa bataille face aux démons dans sa tête, et face à ce qui l’a tant rongé : son trouble obsessionnel compulsif.

« Un jour, alors que j’étais de passage en Arizona, j’ai croisé un joueur de la LNH qui venait d’être admis dans une clinique pour un problème de santé mentale, se remémore Corey Hirsch. Je n’avais jamais vraiment parlé de mon histoire à personne, alors je suis allé avec lui dans un café, et je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai tout dit. À un certain moment, il m’a regardé pour me dire : “Mon Dieu, je souffre de la même chose !” Puis il m’a raconté que sa mère avait dû le réanimer à deux reprises à la suite d’une surdose de fentanyl. J’ai compris que les personnes souffrant de TOC sont plus nombreuses qu’on pourrait le croire… »

« J’ai su que Jonathan Drouin avant demandé de l’aide la saison dernière, et je suis très fier de lui, poursuit l’ancien hockeyeur. Il y a combien de gars par équipe qui souffrent de problèmes de santé mentale ? Qui souffrent d’un TOC comme moi ? »

On associe [le trouble obsessionnel compulsif] aux gens qui se lavent les mains sans arrêt, mais c’est beaucoup plus que ça. C’est comme deux fils qui se détachent dans ta tête. C’est la pensée répétitive au sujet de catastrophes qui peuvent arriver.

Corey Hirsch

Il jure ne pas être en colère. Ni contre une LNH qui n’a rien fait pour lui, ni contre ses anciens coéquipiers ou entraîneurs. « Mais j’aurais aimé avoir été sensibilisé aux questions de santé mentale à l’école […] Si j’avais su comment faire pour demander de l’aide, je l’aurais fait plus tôt. À la place, je me suis caché. La plupart de mes amis aux prises avec un TOC ont tenté de se suicider à un moment donné… »

Il espère que son histoire et son livre vont changer les choses. Des regrets ? Très peu pour lui. Il rit de bon cœur quand on lui rappelle qu’il s’est retrouvé naguère sur un timbre en Suède, après avoir accordé le but gagnant à Peter Forsberg lors des Jeux de 1994. « Les Canadiens, on a quand même gagné la médaille d’argent, et grâce à Forsberg, je fais partie de l’histoire du hockey ! », rigole-t-il.

« Au final, je viens d’écrire un livre, j’ai été analyste, entraîneur des gardiens dans la LNH… Les enjeux de santé mentale n’ont pas à nous ralentir, et ça ne va jamais disparaître. C’est l’homme que je suis. Mais j’estime avoir eu une très belle vie… »