Quand les chiffres sont trop compliqués, il y a habituellement une raison.

Pour le financement de la santé, les provinces et le fédéral n’ont pas le même souci de clarté.

D’un côté, la demande des provinces s’explique facilement : que le transfert en santé d’Ottawa soit haussé de 28 milliards par année, afin que la part de la facture du fédéral passe immédiatement de 22 % à 35 %. Elles réclamaient ensuite une indexation annuelle de 5 % afin de maintenir cette généreuse proportion.

Ce n’était pas réaliste. C’était une demande gonflée à partir de laquelle négocier. Mais au moins, c’était clair.

Mardi, on a enfin obtenu la contre-proposition du gouvernement libéral. Le document qui la résume compte huit pages. Les sommes sont réparties en quatre enveloppes : le transfert en santé, les accords bilatéraux sur mesure, les autres accords bilatéraux et l’appui salarial pour les travailleurs de soutien personnel. Au breffage technique, on a fini par comprendre que cela équivaut à un ajout total de 46 milliards sur 10 ans. Soit 4,6 milliards par année pour toutes les provinces et territoires.

Cela explique pourquoi la proposition a été présentée avec tant d’enrobage. Il fallait adoucir la déception. D’autant que depuis une semaine, le gouvernement a fait monter les attentes en promettant une offre « substantielle ».

Gardons cela simple, si ça se peut.

La démographie, la technologie et l’inflation font grimper la facture en santé. Chaque année, les coûts du système croissent d’environ 5,4 %, selon le Conference Board.

La dernière entente a été signée par le gouvernement Harper. La hausse du transfert équivaut à celle du PIB nominal (moyenne de trois ans, inflation comprise). Il y a un plancher – une hausse minimale de 3 %.

Avant la pandémie, les provinces étaient perdantes. Leurs dépenses augmentaient de 5 % par année, alors que le transfert croissait à un rythme inférieur. Le fédéral en payait ainsi une proportion de plus en plus petite.

Cela a changé avec la COVID-19. Le gouvernement Trudeau a assumé la majorité des mesures d’aide. Et avec la récente inflation, le PIB nominal a bondi. Le transfert a donc gonflé lui aussi. Pour 2022-2023, il augmentera de 9 %. L’inflation pourrait doper le transfert pour encore environ trois ans.

Mais les provinces rétorquent que cette hausse temporaire ne compense pas le sous-financement des années précédentes. Et elles rappellent qu’à moyen et long terme, la tendance passée reprendra.

C’est dans ce contexte qu’interviennent les négociations. Justin Trudeau propose d’ajouter une garantie : d’ici 2027-2028, le plancher des transferts sera de 5 %. La hausse des coûts de système sera donc couverte. Mais par la suite, ça se gâte. Entre 2028 et 2033, les dépenses des provinces recommenceront à augmenter plus vite que le transfert. Le déséquilibre se creusera à nouveau.

M. Trudeau renonce à trop s’ingérer dans les compétences des provinces. Sa principale demande : que les provinces et territoires numérisent les dossiers des patients, en facilitent la circulation dans le système de santé et transfèrent ces données afin de permettre d’évaluer la qualité des soins. C’est une priorité de l’Association médicale canadienne pour éviter les erreurs et vérifier quelles pratiques fonctionnent.

Sur le plan politique, M. Trudeau est aussi sous pression. Comme l’a montré un récent sondage Abacus Data, 66 % des Canadiens estiment que le fédéral ne s’occupe pas assez de santé. C’est le troisième sujet pour lequel ils réclament plus d’actions, après le logement et le coût de la vie.

Le simple fait de parler de santé devrait plaire au premier ministre. Son début d’année est laborieux. Il doit montrer qu’il s’occupe « des vraies affaires ».

Sans être enthousiaste, la réaction des provinces n’a pas été catastrophique. Elles pèsent leurs mots en attendant d’avoir bien analysé les détails – l’offre leur a été présentée mardi en milieu d’après-midi.

Personne ne s’attendait à voir une entente conclue dans la journée. La demande des provinces, 28 milliards, était déraisonnable. Mais une contre-proposition de 4,6 milliards, cela équivaut à couper la poire en six.

Sans surprise, les bloquistes et les néo-démocrates auraient voulu qu’on en donne plus. La réaction des conservateurs est plus révélatrice. Ils sont les seuls à avoir une bonne chance de prendre le pouvoir, et ils se gardent bien de proposer plus. Car les finances publiques du fédéral sont elles aussi sous pression.

Et à Ottawa, on ne se privera pas de rappeler que si François Legault manquait tant d’argent, il n’aurait pas promis de baisser les impôts.

Si c’est une négociation, M. Trudeau le cache bien. Cela a toutes les allures d’une offre finale. La seule marge de manœuvre, a-t-il dit, se trouve dans les ententes bilatérales.

Chose certaine, le temps presse. Les budgets du fédéral et des provinces commencent à s’écrire, et à Ottawa, la ministre des Finances est à la fois sous pression pour dépenser plus, par exemple dans le cas des Forces armées, et pour lutter contre l’inflation.

Cette urgence, M. Trudeau l’a fabriquée – il a attendu deux ans avant de rencontrer les provinces. C’est dans ce contre-la-montre que l’avenir des systèmes de santé se joue. Et peut-être aussi, un tout petit peu au moins, celui de M. Trudeau.