Faust, grand fan du Canadien, vit des temps éprouvants. Son équipe préférée, naguère la plus glorieuse de toutes les équipes sportives, croupit dans les bas-fonds. Elle qui a remporté plus de Coupes Stanley que quiconque n’y a plus touché depuis trente ans. Trente ans. La saison dernière, elle a terminé au trente-deuxième rang. Trente-deuxième rang.

Malgré tout, Faust ne perd pas la foi. Tous les soirs de match, il s’assoit religieusement devant son écran et espère, de toute son âme, que le CH ramènera la victoire. Il croit en St-Louis tout-puissant. Malheureusement, le destin n’y croit pas autant que lui. La Sainte-Flanelle ne cesse d’accumuler les défaites.

La veille du jour de l’An, le Canadien affronte les Capitals de Washington. Faust a refusé toutes les invitations de sorties pour ne pas manquer la partie. Aucun ami n’a voulu venir la regarder avec lui. Ils ont tous décroché. Tant pis. Il défoncera l’année avec son équipe adorée.

Un verre de champagne à la main, son chandail bleu-blanc-rouge sur le dos, il est prêt. Il se dit qu’en ce 31 décembre, son équipe aura sûrement la fierté de se défendre, en l’honneur du plus grand match jamais disputé, le 31 décembre 1975, contre l’Armée rouge, au Forum. Le moins nul de tous les matchs nuls. Faust frissonne juste à y repenser.

La dure réalité le sort de ses doux souvenirs. Trente-deux secondes se sont écoulées, c’est déjà 1 à 0 pour l’ennemi. Quelques minutes plus tard, les Capiteux doublent leur avance. Devrait-il abandonner et rejoindre ses amis ? Faust est fait plus fort que ça. Ils vont remonter, c’est certain. Ils sont dus, tellement dus pour gagner. Début de deuxième, Caufield, le Messie, réduit l’écart. Sa flamme grandit en lui. Mais Washington réplique, deux fois plutôt qu’une. Mais le Messie remet ça. Mais Washington compte encore. À la fin de la deuxième, c’est 5 à 2 pour les méchants. Faust ouvre une autre bouteille. Il ne faut surtout pas lâcher.

Et puis c’est l’hécatombe : 6 à 2… 7 à 2… 8 à 2… 9 à 2. C’est ainsi que se termine 2022. En étant écrasés. Humiliés.

Les textos se mettent à rentrer. Viens nous rejoindre au bar ! On t’attend ! Faust ne répond pas. Il n’a pas le cœur à la fête. Il est trop découragé. Il éteint le poste, reste dans le noir et se met à prier :

« Dieu, je n’ai qu’un souhait pour la nouvelle année : que le Canadien redevienne une grande équipe. Peux-tu m’exaucer ? »

Survient alors dans son salon une apparition :

« Dieu ne peut rien faire pour toi. Mais moi, oui.

— Qui es-tu ?

— Je suis le diable !

— Oooh !

— Je possède le Sauveur du Canadien. Celui qui peut refaire de cette équipe infecte une machine invincible.

— Qui est ce prodige ?

— Connor Bedard ! Ha ha ha ha ! [Rire démoniaque.]

— Connor Bedard ! Le joueur qui brise tous les records au Mondial junior !

— Oui, celui qui va donner au Canada la médaille d’or !

— Ça, on ne le sait pas encore.

— Fie-toi sur moi ! Ha ha ha ha !

— Et que dois-je faire pour que Connor Bedard vienne jouer avec le Canadien ?

— Tu dois vendre ton âme au diable ! Ha ha ha ha ! Dorénavant, et jusqu’à la fin de la saison, tu dois espérer que le Canadien perde.

— Mais je n’ai jamais fait ça. Depuis que je suis enfant, je suis content quand il gagne et triste quand il perd. C’est plus fort que moi.

— Sans Bedard, point de salut. Sans lui, ton équipe va continuer d’être médiocre. Au mieux, dans quelques années, elle se battra peut-être pour une place dans les séries, peut-être même parviendra-t-elle à les faire. Mais elle n’ira guère plus loin. Pour gagner le Saint-Graal, ça prend des héros, Richard, Béliveau, Lafleur, Roy. Tu le sais bien. Bedard est de cette trempe.

— Tu veux que je prenne pour l’adversaire du Canadien. Tu veux que je trahisse l’enfant en moi.

— Sinon, l’adulte en toi va mourir sans avoir vu un autre défilé.

— Et qu’est-ce qui m’assure que si le CH perd, il repêchera Bedard ?

— Une chose est sûre : plus il perdra, plus il aura de chances de faire ça.

— Et si, au fond de mon âme, je souhaite la défaite de mon équipe, tu me jures que Bedard jouera pour nous ?

— Parole de démon.

— Tu me tentes.

— Tu dois accepter ce pacte avant minuit.

— Renier mon équipe jusqu’à la fin de la saison…

— Pour mieux la retrouver.

— Tu me tortures.

— 10… 9… 8… »

— Vendre son âme au diable pour avoir Bedard. Vous qui me lisez, que feriez-vous ?

— « 3… 2… 1… »