Un comité d’experts indépendant recommande de mettre la statue de John A. Macdonald au rancart et, partout, on nous met en garde : mauvaise décision ! Ce serait céder au vandalisme !

Ce serait céder aux voyous qui ont saccagé le monument de la place du Canada, à l’été 2020. Cette apparente capitulation semble déranger tout le monde, même les commentateurs souverainistes, pourtant loin de vénérer l’un des pères fondateurs du Canada.

C’est le vandalisme qui choque, le désordre dans nos rues, aujourd’hui et maintenant, bien davantage que le sort réservé à la mémoire de John A. Macdonald.

Bien sûr qu’il faut refuser le vandalisme. Je ne dis pas le contraire. Mais je m’interroge : la seule façon d’y parvenir est-elle de réinstaller cette statue sur son socle, coûte que coûte, sans nous poser de questions ?

Pour donner l’exemple, pour éviter un prochain saccage, sommes-nous condamnés à glorifier, ad vitam æternam, un personnage historique controversé ?

Il faut à tout le moins pouvoir en débattre.

Depuis une semaine, on prend soin de ne pas se porter à la défense de John A. Macdonald, mais de l’Histoire avec un grand H. On nous répète qu’il est aberrant de juger des personnages historiques à l’aune de la morale du jour. On nous rappelle que les valeurs, à l’époque, n’étaient pas les mêmes. Et qu’à trop vouloir corriger le passé, on risque d’effacer des pans entiers de notre histoire commune.

Vrai qu’on peut se demander qui sera le prochain à passer à la trappe de la vertu contemporaine. Christophe Colomb, découvreur des Amériques… mais aussi brutal colonisateur des Caraïbes ? Winston Churchill, héros de la Seconde Guerre mondiale… coupable d’avoir flirté avec des idées racistes ? Ou, pourquoi pas, Gandhi, icône mondiale de la non-violence… qui a entretenu de sales préjugés à l’égard des Noirs d’Afrique du Sud ?

Vrai, donc, que la question se pose : jusqu’où ira le grand déboulonnage ?

Mais dans le cas précis de John A. Macdonald, l’argument des valeurs qui auraient bien changé tient mal la route. Parce que la statue de Montréal, érigée en 1895, est contestée… depuis le premier jour !

« Le sort réservé à Louis Riel était encore frais à la mémoire des gens » lorsque le monument a été inauguré, rappelle l’historien Martin Pâquet, de l’Université Laval. Le chef métis avait été pendu dix ans plus tôt, en 1885. Parmi les Canadiens français, beaucoup n’avaient pas digéré que le premier ministre lui refuse le droit d’en appeler de sa condamnation.

Le passage du temps n’a rien fait pour arranger les choses. Dans les années 1960 et 1970, des indépendantistes ont aspergé la statue de peinture. En 1992, des vandales se réclamant du Front de libération du Québec lui ont carrément scié la tête. En 2020, c’est au nom de la lutte contre le racisme qu’elle a perdu la tête à nouveau.

« Les raisons pour lesquelles les statues sont controversées varient à travers le temps », souligne Martin Pâquet. Au fil des années, des guerres et des révolutions, les monuments changent de sens et en viennent parfois à jouer un tout autre rôle dans la mémoire collective.

Parfois, le changement prend des décennies. Parfois, c’est plus brutal. À peine un mois après le début de l’invasion russe, les Ukrainiens avaient déjà déboulonné une statue de Kyiv dédiée à l’amitié entre les deux pays.

À Bagdad, des citoyens en liesse se sont précipités pour déboulonner une statue de Saddam Hussein, dès l’annonce de la chute du dictateur, le 9 avril 2003. Ce jour-là, ils n’ont pas effacé une page d’histoire de l’Irak. Ils en ont écrit une nouvelle.

« Une statue, c’est un symbole pour rassembler les gens, explique Martin Pâquet. Si les gens sont rassemblés de manière positive parce que vous avez un symbole qui correspond à leurs valeurs, tant mieux. »

Sinon ? Sinon, eh bien, il faut changer le symbole. L’historien estime que, dans les circonstances, la mise au rancart de la statue de John A. Macdonald constitue une sage recommandation.

« La priorité, quand vous êtes un responsable politique, c’est d’assurer l’ordre public et la paix civile. Si vous érigez une statue qui provoque le désordre, après un certain temps, cela va recommencer. »

Il ne s’agit pas de céder au vandalisme, mais de débattre calmement de la place de ce personnage dans l’espace public. Les citoyens seront consultés le 7 décembre. Le comité remettra son rapport final en février 2023.

D’ici là, rappelons-nous que les « statues ne sont pas des artéfacts historiques neutres », comme l’ont souligné les historiens Pierre-Luc Brisson et Laurent Turcot dans nos pages, en 2017.

Lisez le texte d’opinion « La bataille de l’histoire »

« Une statue n’est jamais rien de plus que la représentation monumentale des valeurs et du récit qu’une population entend se raconter à elle-même. Et comme tout récit, il peut être appelé à évoluer dans le temps », écrivaient-ils.

Il ne s’agit pas de renier le passé, mais de reconnaître le présent. Reconnaître que, dans bien des communautés autochtones, les blessures des pensionnats ne sont pas cicatrisées.

Ce n’est pas de l’histoire ancienne. Ça se passe ici et maintenant. On tournerait le fer dans la plaie en persistant à glorifier l’homme qui a présidé à l’instauration du régime des pensionnats, tellement dévastateur pour des générations d’enfants autochtones.

Il s’agit de reconnaître que le temps est à la réconciliation. Et que la statue de John A. Macdonald appartient au musée.