Le bleu du prochain gouvernement caquiste va pâlir un peu.

La plateforme électorale le laissait entrevoir, et la composition du Conseil des ministres l’a confirmé : le nationalisme occupera moins de place.

La garde rapprochée de François Legault se cimente avec Eric Girard (Finances), Pierre Fitzgibbon (Économie, Innovation, Énergie) et Sonia LeBel (Trésor). Tous des gens qu’on aurait pu voir au Parti libéral à une autre époque. Avec une ex-attachée de presse du gouvernement Charest confirmée dans son rôle de vice-première ministre, Geneviève Guilbault, et Christian Dubé qui demeure l’homme de confiance à la Santé.

Dans le camp bleu foncé, Simon Jolin-Barrette (Justice), papa pour la deuxième fois, a été déchargé du dossier de la langue. Il sera occupé ailleurs, avec sa réforme du droit de la famille et la gestion des travaux parlementaires. Bernard Drainville en aura plein les bras à l’Éducation où son mandat relève plus du rafistolage du réseau que de l’implantation d’un grand projet. Les autres voix nationalistes notables au Conseil des ministres seront Jean-François Roberge (Affaires intergouvernementales), André Lamontagne (Agriculture) et, dans une moindre mesure, Mathieu Lacombe (Culture).

Certes, ils pourront participer à toutes les discussions. Mais pour proposer quoi ?

L’essentiel des chantiers nationalistes est derrière la CAQ.

Durant son premier mandat, M. Legault avait dépensé beaucoup d’énergie sur la réforme de la loi 101, la Loi sur la laïcité d’État, l’inutile test des valeurs et la baisse temporaire des seuils d’immigration — une réduction durant une année qui aura changé peu de choses, à part compliquer le passage déjà prévu au nouveau système de traitement des demandes.

Ceux qui connaissent M. Legault se demandaient si tout cela l’intéressait vraiment. Après tout, il en parlait peu à son retour en politique en 2011. Il avait même empêché le gouvernement Marois de renforcer la protection du français.

Même si les nouvelles données inquiétantes sur la fragilisation du français l’ont sans doute motivé, il y a plus. Il voulait aussi « en donner un peu à la majorité ». Et l’opposition du fédéral et de l’intelligentsia canadienne l’a influencé. C’est devenu une question d’autonomie. Il semblait moins passionné par le débat sur la laïcité que par celui sur le droit pour le Québec de choisir son propre modèle.

Et en culture, il a haussé le budget et lancé son projet d’Espaces bleus, un projet patrimonial, artistique et muséal qui suscite la méfiance de certains muséologues.

Aux yeux de M. Legault, les dossiers identitaires sont pour la plupart cochés. Il peut passer à ses vraies priorités : l’économie et l’éducation.

C’est là que s’exprime son nationalisme. Au fond, le thème se reflète moins dans ses actions que dans ce qui les motive. En tant que fier Québécois, il refuse notre retard économique face à l’Ontario et nos carences en éducation. C’est surtout cela qui l’intéresse.

En novembre 2015, M. Legault présentait son Nouveau Projet pour les nationalistes. Sa liste de demandes était longue…

La très grande majorité s’est heurtée au refus d’Ottawa. Mais M. Legault tolère mal l’ambiguïté. En réaction au cul-de-sac de l’indépendance, il a quitté le Parti québécois. Et je le vois mal passer les prochaines années à se heurter au même mur fédéral.

Tout indique que le Québec ne va pas gérer les budgets fédéraux qui le concernent en culture, ni obtenir un transfert de points d’impôt, une déclaration de revenus unique ou le contrôle des infrastructures portuaires et du Fonds chantier Canada sur son territoire.

La reconnaissance « pleine et entière » de la nation dans la Constitution reste aussi bloquée, tout comme la demande de droit de veto et la réforme du Sénat.

Le document caquiste parlait aussi de hausser les transferts en santé et de favoriser le libre-échange entre les provinces. Mais il s’agit de priorités consensuelles partagées par le PLQ.

On entend peu parler du projet de M. Jolin-Barrette d’adopter une constitution québécoise. Il existe encore, mais ça ne semble pas prioritaire — il n’en a pas été question durant la campagne électorale.

Difficile de prévoir la pugnacité du nouveau ministre des Affaires intergouvernementales, M. Roberge. Mais quand il se plaindra du manque de financement d’Ottawa, le gouvernement Trudeau pourra lui rappeler que le Québec ne dépense même pas tous les fonds fédéraux disponibles en infrastructures…

Il ne reste qu’un combat nationaliste actif pour la CAQ : le contrôle d’une petite catégorie de l’immigration, celle des réunifications familiales. Le fédéral s’y oppose car l’effet sur le français serait modeste, mais le choc humain serait douloureux.

Cet affrontement inutile occulte deux enjeux réellement importants.

Le premier, c’est de mieux utiliser les pouvoirs actuels en immigration temporaire. À l’heure actuelle, Ottawa refuse beaucoup, beaucoup plus les candidats francophones africains qui veulent aller en région que les anglophones qui s’inscrivent à McGill et à Concordia. Ce devrait être le contraire, et Québec devrait se battre pour cela.

Le second, c’est la francisation. Et là-dessus, le Québec a déjà tous les pouvoirs requis. Ce qui enlève à la CAQ toute excuse pour répéter l’échec de ses prédécesseurs.

Et on pourrait ajouter le retour du boomerang de la langue et des signes religieux. Les tribunaux pourraient invalider des éléments de ces lois. Le débat identitaire serait relancé, et M. Legault voudra encore « en donner un peu » à la majorité francophone. Surtout si cela embête les libéraux…