Twitter ressemble désormais à un conteneur à déchets en feu dévalant une pente abrupte en direction d’une centrale nucléaire, mais je persiste et signe : c’est un outil formidable.

Je dis que Twitter ressemble désormais à un conteneur à déchets en feu parce que l’endroit sent de plus en plus mauvais. La virulence des trolls – anonymes ou pas – y rend l’air un peu plus irrespirable chaque jour. On se croirait dans la salle d’attente de l’asile psychiatrique.

Le trumpisme décomplexé a multiplié le nombre de comptes agressifs qui n’existent que pour insulter les « ennemis » idéologiques de ce qui est une nébuleuse d’extrême droite moderne. Même ici, sous nos latitudes. Puis vint la pandémie, qui a créé des hordes d’enragés anti-sanitaires qui ont fait de Twitter le lieu de tous leurs combats, de toutes leurs obsessions.

J’ai toujours dit que pour exister sur Twitter, il fallait bloquer les importuns. Ainsi, juste avant la pandémie, en février 2020, j’avais bloqué 1600 comptes en 11 ans. Il y a un an, après 20 mois de pandémie : 5257 comptes bloqués.

Je viens de vérifier : j’ai bloqué 8181 comptes. Y a de l’inflation même dans les blocages sur Twitter. À ce rythme, je devrais atteindre le plateau des 10 000 comptes bloqués d’ici 2023.

Je ne me plains de rien, je constate. Je ne crois pas avoir bloqué 8181 personnes en chair et en os, je crois que sur Twitter, des tas de gens ont plusieurs comptes qu’ils déploient de manière à faire croire qu’ils sont plus nombreux.

Certains ont des objectifs idéologiques, politiques ou commerciaux. D’autres n’ont juste pas de vie et se donnent ainsi une sorte d’importance factice : le pouvoir de nuisance est un moignon de pouvoir, mais du pouvoir quand même dans leur tête.

Twitter est un jeu d’ombres et de miroirs : on ne sait pas toujours qui est qui, on ignore souvent qui se cache derrière un compte. Comme on avait appris que les Russes manipulaient Facebook en 2016 pour aider Donald Trump, on a appris récemment que des comptes Twitter étaient gérés par la Chine pour déstabiliser les États-Unis.

De la même façon, Twitter est un petit joueur, numériquement parlant, plus modeste qu’Instagram et que Facebook. Mais Twitter est populaire auprès de la classe politique, des journalistes, des militants de toutes sortes. Des gens qui parlent fort, qui rayonnent. Mais un boss de La Presse, il y a quelques années, m’a ainsi expliqué que Bing générait plus de visiteurs vers lapresse.ca que Twitter…

Savez-vous ce qu’est Bing, sans googler ce nom ?

Réponse : c’est le moteur de recherche de Microsoft…

Je vous parle de Twitter parce que l’homme-le-plus-riche-de-la-planète, Elon Musk, a acheté la plateforme. Utilisateur hyperactif de la plateforme, le PDG de Tesla a fait une offre d’achat de 44 milliards US, offre qu’il a retirée avant d’être forcé de l’honorer.

Payer 44 milliards US pour Twitter, c’est comme si je payais 100 millions pour le dépanneur du coin.

Musk est un libertarien. Le libertarisme est aussi idéologiquement rigide que le maoïsme, à la différence que cette idéologie contrôle désormais le Parti républicain aux USA. Pour les libertariens, on devrait pouvoir dire n’importe quoi, n’importe comment, à n’importe qui. Exemple de dire n’importe-quoi : Musk a naguère comparé Justin Trudeau à Adolf Hitler, en appui au convoi de la « liberté » d’Ottawa, rien de moins.

Je souligne que Musk a déjà dit qu’il trouvait Twitter trop woke et qu’il voulait « rétablir l’équilibre » en l’achetant. L’extrême droite a fait la fête quand Musk a pris le contrôle de Twitter : j’imagine qu’ils ont reconnu le twit-en-chef (son expression) comme étant favorable à leurs vues. Les racistes se sont même mis à scander le mot qui commence par un N sur Twitter, juste pour voir s’ils seraient bannis… 

Ça ne faisait pas 72 heures qu’Elon Musk était patron de Twitter qu’il a relayé une théorie du complot complètement risible à propos de cette tentative d’assassinat contre Nancy Pelosi (numéro 3 du gouvernement américain) aux mains d’un désaxé intoxiqué à la désinformation d’extrême droite.

En cela, Musk est en phase avec Twitter, devenu la Tesla de la désinformation mondiale depuis quelques années.

Beaucoup se demandent s’ils vont rester sur Twitter avec l’arrivée d’Elon Musk. Musk a déjà dit qu’il allait facturer 8 $ US par mois à ceux qui ont le petit crochet d’un compte « vérifié », ce qui est mon cas. Je ne paierai pas, par principe.

En revanche, je paierais 20 $ US par mois si tout le monde payait pour ouvrir un compte : les losers-pas-de-vie qui gèrent 30 comptes pour harceler leurs cibles du confort du sous-sol de leur maman ne paieront pas 600 $ US par mois pour faire ça, ils vont se trouver d’autres hobbies… 

Comme quoi ?

Je suggère la reproduction du Stade olympique en bâtons de popsicle, pour commencer.

Je persiste et signe : Twitter est un outil formidable, qui fait partie de ma diète quotidienne d’information.

Depuis 2009, j’y ai découvert des voix, des idées, des points de vue et des médias que je n’aurais pas découverts autrement. C’est comme s’injecter du contenu en intraveineuse en temps réel. Pour un journaliste, c’est comme de l’héroïne : ça crée une dépendance.

Je vous ai expliqué mon analogie de Twitter en tant que conteneur à déchets en feu. Voici pourquoi je pense que ce conteneur se dirige vers une centrale nucléaire métaphorique : avec Musk, Dieu sait ce qu’il adviendra de Twitter comme vecteur de désinformation et de théories du complot, comme leader mondial des fossoyeurs de faits.

Je me bouche le nez, je reste sur Twitter, mais je ne suis pas optimiste.