Deux meurtres en trente minutes. On peut relativiser. Minimiser. Dénoncer le sensationnalisme des médias. On peut. Montréal, après tout, n’est pas à feu et à sang.

On peut sortir des chiffres rassurants. Selon Statistique Canada, le taux d’homicides pour 100 000 habitants dans la région métropolitaine de recensement de Montréal s’est élevé à 1,11 en 2021. Dans celle de Vancouver, c’était le double : 2,16. Celle de Winnipeg : 5,39.

Et c’est sans parler de villes américaines comme St. Louis (65), La Nouvelle-Orléans (56) ou Detroit (48,6). Montréal, en comparaison de ces coupe-gorges, est le pays des Calinours.

On peut constater la baisse constante des homicides sur le territoire du SPVM : de 85 en 1981, on est passé à 36 en 2021. Souligner cette décroissance permet de mesurer le chemin parcouru – et de mettre les choses en perspective.

Mais pour les habitants de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies, quartiers particulièrement touchés par la récente flambée de fusillades, ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose. Pour eux, l’insécurité ne se mesure pas en graphiques. Pour eux, la peur de se prendre une balle perdue se vit au quotidien.

Bien sûr, on peut tempérer. Parler de règlements de comptes. Les motards, les mafieux et les gangs de rue s’entretuent comme les loups se mangent entre eux. C’est la dure loi de la rue.

C’est probablement vrai des deux hommes abattus mardi. Tous deux étaient « connus des policiers », comme on dit dans le jargon. Mais voilà, l’un a été tué dans le stationnement bondé du Centre Rockland et l’autre, sur la terrasse d’une pizzeria de la rue Saint-Denis.

On les a assassinés en plein jour. Sans le moindre souci pour la sécurité des clients, des passants, bref, du « monde ordinaire ». Comme si la loi de la rue avait perdu ses règles et son code d’honneur.

Plus inquiétant encore, on commence à voir émerger le phénomène glaçant du scoring, emprunté à la rue américaine : des criminels récoltent des points en tirant au hasard sur des passants dans le territoire d’un gang rival.

C’est peut-être le triste sort réservé à Jayson Colin, criblé de balles, dans la soirée du 10 août, sur le terrain d’une école secondaire de Montréal-Nord. L’homme de 26 ans n’avait rien à se reprocher. Il était « au mauvais endroit, au mauvais moment », a-t-on déploré.

Le lendemain, une femme de 25 ans a été blessée à Rivière-des-Prairies. Elle aussi au mauvais endroit, au mauvais moment, croit la police. Tout comme Thomas Trudel, 16 ans, qui a reçu une balle dans la tête sur le chemin de la maison, l’an dernier, dans le quartier Saint-Michel.

Il ne devrait y avoir aucun « mauvais endroit, au mauvais moment » à Montréal.

Il ne s’agit pas de céder à la panique, mais d’admettre que Montréal a un problème. De refuser que ces fusillades deviennent la nouvelle réalité de la métropole. De refuser de s’habituer à cette violence.

« On n’acceptera pas, comme gouvernement, que Montréal devienne un champ de tir pour les gangs », a déclaré avec raison le premier ministre François Legault. Évidemment, il n’y a pas de solutions miracles pour éviter que ça ne se produise. Mais il y a des choses à faire.

Légiférer, d’abord. Le gouvernement fédéral doit interdire les armes de poing une fois pour toutes. Il doit muscler les opérations de saisies aux frontières. Il doit adopter des lois afin de punir plus sévèrement ceux qui trafiquent – ou fabriquent – des armes illégales.

Au Québec, les chefs de parti doivent nous dire ce qu’ils comptent faire pour restaurer un climat de sécurité à Montréal. Ça doit devenir un enjeu électoral prioritaire.

Pas pour noircir le tableau à outrance – c’est un risque –, mais pour discuter de ce qui peut être fait, concrètement, pour éviter que des jeunes ne s’enrôlent dans des gangs criminels.

Pour les candidats, il ne s’agit pas de sombrer dans une campagne de peur, mais de se mettre à l’écoute de ceux qui vivent et qui travaillent dans ces quartiers chauds. Surtout quand ils parleront de l’importance d’investir dans les parcs, la culture, les loisirs, les sports…

En passant, investir dans les enfants, c’est exactement ce que faisait Jayson Colin avant d’être abattu. Cet amoureux du hockey voulait transmettre sa passion : il avait créé une ligue pour les enfants défavorisés du quartier. À sa façon, il voulait contribuer à changer Montréal-Nord.

On ne lui en aura pas laissé le temps.

Pour empêcher d’autres tragédies, on ne peut pas miser uniquement sur la prévention. À court terme, la répression est aussi nécessaire. Pour rassurer la population et rétablir l’ordre, il faut déployer plus de policiers dans les rues.

Mais des policiers, justement, ça ne court pas les rues à Montréal. Le chef syndical Yves Francœur a même accusé Valérie Plante d’avoir contribué au départ de dizaines d’entre eux en raison du « manque de soutien concret » de son administration à leur égard.

En conférence de presse, mercredi, la mairesse a répondu qu’elle avait un plan. Un peu brouillon. Même pas chiffré. Rien ne semblait encore ficelé. Tout de même : la Ville négocie avec Québec pour financer l’embauche de policiers supplémentaires. Les deux ordres de gouvernement se disent prêts à agir pour endiguer la violence armée. La volonté politique semble bien là – comme si les deux meurtres avaient fourni l’électrochoc nécessaire pour faire bouger les choses.

Et pour que tout le monde convienne de l’importance de soutenir le travail des policiers de Montréal.