L’histoire de Shawn Burnett, c’est l’histoire d’un jeune de 18 ans qui perd l’usage de ses deux jambes après un mauvais atterrissage, lors d’un saut en parachute.

C’était le 6 juin 2021, à Farnham. Pour l’anniversaire d’un ami, Shawn allait faire son premier saut en parachute.

Statistiquement, le parachutisme, c’est sécuritaire. Même si, comme le dit Mike, le père de Shawn, le sport implique ce fait incontournable : il faut se lancer dans le vide d’un avion en vol.

Ils étaient cinq à sauter, dans le groupe, dont Dania, 17 ans, la petite sœur de Shawn. Il était le dernier du groupe à sauter de l’avion. Mike était là avec sa blonde Caroline, la mère des enfants.

Ils regardaient le ciel, l’avion a lâché les cinq points dans l’immensité bleue : Shawn, Dania et leurs trois amis. Un, deux, trois, quatre et cinq parachutes se sont ouverts.

Mike a pensé, en regardant le ciel où flottaient ses deux enfants : « Ouf, ils sont tirés d’affaire, maintenant… »

Mais les statistiques sont limpides : la plupart des accidents surviennent à l’atterrissage des parachutistes.

Et ce jour-là, le 6 juin 2021, journée magnifique, chaude et humide, ciel sans nuages comme peut l’être l’avenir quand on a 18 ans, juste au moment où le tandem formé de Shawn et d’un instructeur s’approchait du sol, une bourrasque a bousculé l’atterrissage du duo. Mauvaise réception, atterrissage très dur.

Après le choc, sur le sol, Shawn ne sentait plus ses jambes. C’était grave, tout le monde l’a su, sur le coup.

Les premières paroles de Shawn ? « Vaut mieux que ce soit moi, plutôt que Dania. »

Une ambulance a transporté Shawn à l’Hôpital général de Montréal. Opéré d’urgence, ça n’a rien changé : il était paralysé, la moelle épinière touchée.

T’as 18 ans, la vie devant toi. Deux semaines avant le saut, tes parents ont loué ton appartement à Laval pour ton entrée à l’Institut de protection contre les incendies du Québec (IPIQ), dernière escale avant d’accomplir ton rêve : devenir pompier.

T’as 18 ans, la vie devant toi, t’es une boule d’énergie, le sport, tu en manges. La vie est belle comme cette journée du 6 juin 2021. Mais c’est cette si belle journée qui va déboucher sur des jours, des semaines et des mois de brouillard.

À l’Hôpital général de Montréal, groggy à cause de la morphine, Shawn alterne entre le sommeil et les phases de réveil.

Il se réveillait, il pleurait. Il me regardait : “Maman, ma vie est finie.” Et il se rendormait en pleurant…

Caroline Laberge

Mike et Caroline ont veillé Shawn. Les premiers jours, à l’Hôpital général de Montréal, puis à l’Institut Lindsay-Gingras pour la réadaptation. Chaque jour, ils faisaient le trajet McMasterville-Montréal.

Hospitalisé, Shawn combattait le spleen, mesurait le vertige d’une vie brutalement modifiée. En entrevue, il se remémore ces jours-là, le brouillard des premiers temps. La peur, aussi. Et le désespoir : « Si j’avais pu me rendre jusqu’à la fenêtre du 12e étage, à l’hôpital, me dit-il, je me serais lancé en bas… »

L’histoire de Shawn Burnett, c’est donc l’histoire d’un jeune homme de 18 ans dont la vie a été bouleversée à cause d’un coup de vent.

Mais c’est ici que l’histoire de Shawn Burnett devient aussi magnifique. C’est ici que commencera à jaillir un peu de lumière.

Shawn est donc encore alité, c’est le mois de juin 2021. Autour de lui, ses proches ne veulent pas qu’il perde le moral. Des gens s’activent pour que l’histoire de Shawn soit connue, pour qu’il reçoive des messages d’encouragement.

Son histoire a été partagée par plusieurs personnes, comme Martin Gendron, un ami de la famille particulièrement interpellé.

Et Shawn se met à recevoir des dizaines, puis des centaines de messages d’encouragement. Son histoire tragique devient virale. Il se passe quelque chose, en lui : ça lui donne de la force. Le brouillard enveloppe encore Shawn et sa famille, mais chaque message d’encouragement agit sur lui comme un rayon de soleil.

Les parents de Shawn, eux, sont encore sous le choc. Ils souffrent avec lui — ils voudraient souffrir à sa place –, ils font silencieusement le deuil des possibles qui ne seront pas. Caroline et Mike ont de la difficulté à réfléchir à l’« après » : adapter la maison pour un jeune adulte en fauteuil roulant, par exemple.

Mike : « J’ai jamais eu mal de même. J’étais en boule dans le coin, à pleurer. »

La vague d’amour numérique, elle, grandissait et grandissait. Des milliers de messages ont commencé à submerger la messagerie Facebook de Shawn : « J’étais content de ne pas être seul », dit-il, un an plus tard.

Une amie de la famille a lancé une campagne de sociofinancement, pour faire face aux coûts de cette nouvelle vie, une vie adaptée. Parce qu’adapter une maison pour une personne handicapée, c’est compliqué. Et c’est cher.

Mais là, le feu a pris, si on veut, par un de ces mystères de la nature humaine : des entrepreneurs en construction ont débarqué à la maison des Laberge-Burnett, des plombiers, des électriciens, un gars de béton. Des dizaines de personnes ont mis la main à la pâte pour préparer l’adaptation de la maison, pour le retour de Shawn, pour l’entrée dans sa nouvelle vie en faisant don de temps, de biens, d’argent. Ça débarquait de partout.

Mike : « De juillet à décembre, la chaîne de solidarité a été incroyable. On sait qu’on est chanceux. On… »

La voix du père s’éraille.

« … on sait que c’est pas tout le monde qui a cette chance. »

Cette vague de solidarité a remué Mike Burnett. Il s’est senti confronté : lui, avant, aurait-il eu ce souffle de générosité à l’égard d’autrui, avant l’accident de Shawn ? « Je me suis demandé si, hors de ma famille, j’en avais assez donné aux autres. Peut-être pas. Je m’en veux de ne pas avoir pris le temps. Les gens qui nous ont donné de l’aide, ils sont allés bien au-delà de leurs besoins… »

Un autre chat s’agite dans la gorge du père de famille.

La gentillesse des gens… J’en reviens pas.

Mike Burnett

Je notais les paroles de Mike tout en cherchant silencieusement une expression populaire qui cadrait parfaitement avec la solidarité décrite par Shawn, Caroline et Mike… 

Coudonc, c’est quoi, déjà, cette expression-là ? Mike m’a devancé quand il a dit : « Y a encore du bon monde. »

En réadaptation, Shawn peinait, mais il croulait aussi sous les messages d’encouragement, de milliers de messages d’encouragement de purs inconnus touchés par son histoire. Parmi eux, des gens handicapés, comme Shawn, lui ont écrit : Tu aimes le hockey. Connais-tu le parahockey ?

C’est du hockey, en luge. On joue assis, en se propulsant avec des bâtons.

Pour le reste, ben, c’est du hockey…

Eh bien, moins d’un an après son accident, Shawn est devenu un joueur d’élite de parahockey : il est membre de l’Équipe de parahockey du Québec, qui a remporté le championnat canadien, en juin. Shawn a trouvé dans le parahockey une passion, ses parents y ont trouvé une communauté de soutien.

Bonne nouvelle : Shawn a été invité au camp de sélection d’Équipe Canada, qui aura lieu dans deux semaines, à Calgary.

Les parents de Shawn ont mille remerciements à faire. Ils m’ont demandé d’en énumérer quelques-uns, tout en s’excusant s’ils oublient des noms.

Alors voici donc…

Leur famille élargie, leurs amis, Sarah-Eve (la blonde de Shawn), les Habitations Raymond Guay & Associés ainsi que leurs fournisseurs, André Joseph et Martin Lepage ainsi que les golfeurs du tournoi organisé par ce duo, Luc Meloche et la Cantine La Fringale, les donateurs du GoFundMe, les voisins, les collègues de travail, la communauté du parahockey et celle des pompiers…

Caroline constate : « Ça prend un village pour s’occuper d’un enfant. »

Et pour Shawn, le village virtuel et réel a répondu présent. Il n’y a pas que du laid, sur Facebook.

Le matin de notre entrevue, Shawn changeait lui-même le pot d’échappement de sa voiture, avec l’aide de son père, qui déplaçait le chariot à roulettes sur lequel Shawn était couché sous le véhicule.

Un an plus tard, Shawn va bien.

Mais mettons le mot entre guillemets. Disons que Shawn va « bien ».

« Ça demeure de la cr… de m…, ce avec quoi il doit composer, dit Mike Burnett. C’est tout un changement de vie. »

Shawn sourit en me regardant :

« Mon père parle trop ! »

Après l’entrevue, nous nous dirigions tous vers le stationnement et j’ai pensé à cette vie bousculée par un coup de vent. Ça ne tient pas à grand-chose, la vie, des fois. En regardant Shawn qui roulait vaillamment devant nous, le dos bien droit, j’ai pensé à cette chanson de John Lennon, celle où il parle de la vie qui ne collabore pas toujours avec nos projets…

Avant de traverser la rue
Prends ma main
La vie, c’est ce qui t’arrive quand tu es occupé à faire d’autres plans

J’ai salué Shawn, Mike et Caroline en me demandant : coudonc, c’est quoi le titre de cette chanson où Lennon évoque cette chienne de vie qui fait parfois des jambettes à nos certitudes ?

Et ça m’est revenu dans l’auto : Beautiful Boy… 

Justement, t’es magnifique, Shawn Burnett. Nous sommes des milliers à le penser : lâche pas.