Imaginez qu’on vous vole votre enfance, qu’on vous sépare de votre famille, de votre héritage culturel. Qu’on vous affame, qu’on vous batte, voire qu’on vous viole. Qu’on enterre votre petit frère dans une tombe anonyme.

Si, des décennies plus tard, le patron d’une des organisations responsables des sévices que vous avez subis présentait des excuses, vous voudriez probablement que cette personne s’adresse à vous directement. Qu’elle prenne le fardeau de votre souffrance sur ses épaules et sur celles de son organisation.

Ça semble élémentaire.

Malheureusement, le pape François ne semble pas avoir reçu la note de service sur l’art des excuses avant de venir au Canada rencontrer les survivants des pensionnats pour Autochtones.

Pourtant, l’occasion qui lui était offerte à Maskwacis, en Alberta, lundi était tout simplement parfaite. La figure de proue de l’Église catholique a été reçue sur les lieux d’un ancien pensionnat pour Autochtones, devenu depuis lieu de mémoire.

Dans le petit stade où ont lieu les pow-wow, des centaines de victimes de la politique gouvernementale canadienne étaient présentes pour l’évènement historique.

Le chef du gouvernement canadien, Justin Trudeau, et la représentante de la Reine au Canada, la gouverneure générale Mary Simon, étaient aussi sur place.

Le symbole était fort : la trinité Église-gouvernement-pouvoir colonial au cœur de la politique d’assimilation des enfants autochtones, qui aura duré près de 100 ans, était réunie en un seul endroit.

D’entrée de jeu, on savait aussi que le pape a fait fi de ses problèmes de santé pour faire ce voyage assez ardu jusqu’en Alberta après avoir annulé deux voyages en Afrique.

La table était mise et plusieurs attendaient avec impatience ce moment unique. D’autant plus qu’en avril, nous avions vu la bande-annonce du voyage papal à venir lorsque le souverain pontife a reçu une grande délégation autochtone au Vatican. À chaud, après avoir entendu des témoignages de survivants des pensionnats, le pape François a présenté une première série d’excuses qu’on pouvait croire partielle. Après tout, ce n’est jamais une mauvaise idée de garder quelques rebondissements pour la représentation principale du film.

Hier, malheureusement, on s’est rendu compte que l’essentiel du message du pape – même s’il était mieux enrobé – est resté le même que celui déjà délivré à Rome. Et ce message exclut la responsabilité de l’Église avec un grand E.

« Je demande pardon pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des pensionnats », a dit le patron du Vatican.

Encore une fois, il a jeté le blâme sur les exécutants des politiques qu’il juge lui-même « catastrophiques », plutôt que sur l’organisation qui a longtemps présenté comme son devoir le fait d’évangéliser les « Indiens ».

Dans son discours, comme en avril, le pape a répété qu’il demande pardon à Dieu pour les agissements de « certains » catholiques. « Devant ce mal déplorable, l’Église se met à genoux devant Dieu et implore son pardon pour les péchés de ses enfants », a-t-il déclaré.

Ne serait-il pas plus approprié que l’Église demande pardon aux survivants en chair et en os plutôt que de quémander la clémence de « l’Être suprême » ?

En prenant Dieu à partie, le pape n’oblige-t-il pas les victimes à se soumettre à sa logique religieuse plutôt que de dire haut et fort que, dans le contexte des pensionnats, ce sont des êtres humains qui ont blessé d’autres êtres humains ? Que la sphère céleste n’a rien à voir là-dedans !

Bien sûr, c’est d’abord et avant tout aux survivants des pensionnats eux-mêmes de juger de la valeur des excuses du pape. Plusieurs semblent avoir trouvé réconfort dans ses mots hier et dans sa promesse de faire des gestes concrets. Tant mieux. Ils ont été nombreux à défiler devant le Saint-Père pour lui offrir des cadeaux après son discours.

PHOTO ADAM SCOTTI/BUREAU DU PREMIER MINISTRE, VIA REUTERS

Une femme en habit traditionnel chantant une version d’Ô Canada dans sa langue natale, durant le discours du pape François

Mais alors que la cérémonie tirait à sa fin, une femme en habit traditionnel a cassé l’atmosphère trop polie. Pendant que des larmes coulaient sur son visage, elle a chanté une version d’Ô Canada dans sa langue natale. En cri. En cri du cœur.

Des notes discordantes qui, espérons-le, recadreront le pape sur la raison de sa visite : un pèlerinage de pénitence l’obligeant à faire face à la souffrance crue des victimes plutôt qu’un ballet diplomatique chorégraphié par ou pour le pénitent.