Je ne pensais jamais qu’une chronique qui parle de chats était susceptible d’entraîner autant de commentaires passionnés et même fielleux.

J’avais rédigé une chronique sur mes mésaventures avec mon chaton adoré en pensant que les chats, stressants ou pas, adoucissent les mœurs. Peut-être aurais-je droit à une trêve de commentaires désagréables qui suivent toute chronique sur des enjeux d’actualité clivants ? Car quoi de plus consensuel qu’un chaton ?

Détrompez-vous…

J’ai découvert à mon grand étonnement qu’il y avait une variante féline de ce que les anglos appellent le « mom shaming » — la culpabilisation des mères.

Les mères apprennent très vite que, peu importe ce qu’elles font, il y aura toujours des gens prêts à critiquer leurs choix parentaux et à les traiter de « mauvaises mères », persuadés que leur façon de faire est la seule qui vaille. On se mêle de leur volonté ou non d’allaiter, de leur choix d’envoyer leurs enfants à la garderie ou pas. On trouve qu’elles couvent trop leurs enfants ou pas assez…

Ça vaut donc pour les femmes qui adoptent des chats aussi, semble-t-il.

« Au risque de vous insulter, je ne crois pas que vous ayez la fibre maternelle pour la race féline », m’écrit une lectrice qui trouve que le chat a ses raisons que les mauvaises mères adoptantes comme moi ne connaissent pas. Ce n’est pas mon chaton qui est stressant, c’est moi qui ne le comprends pas et ne l’aime pas comme il faut.

« Ces petites boules d’amour ne demandent qu’à nous aimer en retour de bons soins au quotidien… Et quand on les aime, leurs petits gestes anodins sont vite pardonnés… »

Une autre lectrice m’a envoyé un courriel sentencieux dans la même veine me proposant de confier mon chaton à une maisonnée qui saura mieux l’accueillir. (Je vous rassure : inutile d’alerter la SPCA. Notre chat se porte très bien, merci.)

Un lecteur croit pour sa part qu’un bon parent ne peut adopter un chat. « Personnellement, je pense que le temps que vous passez avec votre chat, c’est au détriment de votre famille. »

Lisez la chronique « La vérité sur les chats »

Cette chronique m’a aussi valu quelques diagnostics de psychopop non sollicités. Parle-moi de ton chat, je te dirai qui tu es…

Un lecteur me dit que si un chat stresse son maître, ça en dit plus long sur le maître que sur le chat. « Les chats ne sont peut-être pas tant source d’anxiété qu’un simple reflet. »

Une autre lectrice croit que ma chronique féline révèle deux autres choses navrantes à mon sujet.

La première ? « Vous êtes une personne autoritaire », écrit-elle en dénonçant la tenue d’élections antidémocratiques dans mon foyer où s’opposaient deux prochats et deux antichats (finalement convertis). « Votre article démontre que vous croyez toujours avoir raison. »

La seconde ? « Votre pensée woke fait de vous une personne naïve », ajoute-t-elle, en précisant que cette naïveté qui m’a poussée à adopter un chat se reflète dans mes articles « woke ».

Que l’on parle de chats, d’immigration ou de liberté d’expression, il faut croire que l’accusation « woke » est devenue le nouveau point Godwin. Drôle d’époque, quand même.

Autre grand sujet de controverse : j’ai écrit que si les chats avaient sept vies, le mien, qui l’a échappé belle trois fois, n’en avait plus que quatre…

Un lecteur me corrige. « Les chats n’ont pas sept vies, mais bien neuf. »

Sept ou neuf ? Voilà la question… J’ai songé un instant à l’erratum ésotérique que ça pourrait donner. « Contrairement à ce que nous avons laissé entendre dans une chronique du 29 mai, les chats n’ont pas sept vies, mais neuf. Nos excuses. »

J’ai fait mes recherches. Je lis dans Le Monde1 que l’idée des chats ayant neuf vies est très ancienne et présente dans de nombreuses cultures. Elle serait issue de plusieurs mythes, que l’on retrouve notamment dans la tradition hindouiste et la mythologie égyptienne. Dans l’Égypte antique, le chat était un animal vénéré. On lui attribuait un pouvoir mystique et divin. On admirait son don à se tirer des situations les plus dangereuses.

Dans certaines cultures — en Grèce, en Italie, au Brésil et dans certaines régions d’Espagne –, la légende veut toutefois que le chat ait sept vies et non neuf.

Et en Turquie et au Moyen-Orient, ça tombe à six… Il semble donc que, même dans les légendes, il n’y a pas de justice ni d’équité pour les chats du monde entier.

Si j’ai écrit sept, c’est peut-être que je suis grecque sans le savoir et que tous ces lecteurs qui m’appellent Mme Mouskouri ou Melkouri depuis des années ont raison, finalement.

Alors six, sept ou neuf ? Je préfère désormais rester prudente et donner ma langue au chat.

1. Lisez l’article du Monde