« J’aimerais avoir un chat. »

Officiellement, c’était l’idée de mon fils. Secrètement, c’était mon souhait depuis ce jour où mon chat Gris-gris a disparu.

J’avais 10 ans. J’ai longtemps soupçonné ma mère d’avoir orchestré cette mystérieuse disparition, la rumeur voulant que mon frère soit allergique. Plus de 30 ans plus tard, elle me jure qu’il n’en est rien. Gris-gris avait vraiment fait une fugue. On ne l’a plus jamais revu.

Pourquoi on n’adopterait pas un chat ? O. K. ! Si tu insistes…

En vérité, il n’a pas eu à insister.

À la maison, nous sommes passés au vote. Deux pro-chat, deux anti-chat. J’ai décidé que c’était juste un vote consultatif et j’ai tranché, persuadée que le clan anti-chat allait finir par se rallier.

Nous faisons donc partie de ces nombreuses familles ayant adopté un chaton durant la pandémie. Le hasard a voulu qu’il soit tout gris et tout mignon comme le chat perdu de mes 10 ans.

Je pensais naïvement que la présence d’un chaton à la maison allait être une source de sagesse et d’apaisement au cœur de nos vies anxiogènes. Quand un chat ronronne, pour un instant, il n’y a plus de tueries, plus de guerres, plus de crise climatique, plus de haine, plus de pandémie, plus de maladie… On allait confier notre stress au chat pour qu’il le recycle en zénitude. Il allait nous aider à tourner le dos à la fureur du monde pour nous ramener aux « vraies affaires » – dormir, regarder par la fenêtre, observer l’humain, chasser des proies imaginaires, manger, s’étirer, se faire flatter.

Je constate, hélas, quatre mois plus tard que, même si ma propagande pro-chat a fonctionné et a conquis le cœur de la moitié félinosceptique de la famille, ça ne se passe pas tout à fait comme je me l’imaginais. Et ce n’est pas qu’anecdotique. Contrairement à la croyance populaire, avoir un animal domestique n’est pas un antidote au stress effréné de nos vies, révèle une étude récente menée par une chercheuse de l’UQAM. L’étude réalisée durant la pandémie s’est intéressée au bien-être psychologique de 2500 personnes au Canada. La moitié avait un animal domestique. L’autre moitié n’en avait pas. Résultat ? Celles qui en avaient un rapportaient de façon générale un bien-être psychologique moindre que les autres.

C’est particulièrement vrai pour les femmes, les parents ayant plusieurs enfants à la maison et les personnes sans emploi pour qui l’animal domestique a pu représenter un fardeau financier et un stress de plus durant la pandémie*.

De fait, alors que ma liste d’inquiétudes était déjà bien assez longue à mon goût, je ne pensais jamais m’inquiéter autant pour un chat. Loin de m’apaiser, cette boule douillette de poils à laquelle toute la famille s’est attachée est devenue une source supplémentaire de stress.

Si les chats ont sept vies, le nôtre est rendu à quatre.

Il y a eu cette soirée d’hiver où on l’a perdu. T’as vu le chat ? Ben non, je pensais qu’il était avec toi. Ah ! Moi, je pensais qu’il était avec toi…

On a fait le tour de tous les recoins de la maison. On l’a appelé. On a agité furieusement un sac de croquettes. Pas un bruit, pas un miaulement. Où était-il donc passé ?

Il est difficile d’attraper un chat noir dans une pièce sombre, surtout lorsqu’il n’y est pas, dit le proverbe chinois qui seyait bien au déroulement de notre enquête.

J’ai refusé d’ouvrir la laveuse qui était en marche… Quand j’ai entendu crier : « Aaaah ! », j’ai pensé au pire. Heureusement, notre intrépide chaton ne s’était pas glissé au fond de la laveuse, mais dans un tiroir de la cuisine pendant qu’on préparait les lunchs. Il avait décidé de faire un petit somme entre deux tupperwares. Lorsqu’on a découvert sa cachette avec émoi, il nous a lancé un regard contrarié, l’air de dire : « C’est quoi, votre problème ? Un chat peut plus faire sa sieste tranquille ? »

Il y a eu cette autre fois où il a profité d’une armoire mal fermée pour explorer la vieille tuyauterie à découvert de la maison. Il y est resté coincé jusqu’à ce qu’une complexe opération sauvetage-croquette soit mise en branle.

Et samedi dernier, il y a eu l’épisode qui m’a achevée. Je lisais tranquillement les journaux en buvant un café. J’ai vu d’un œil distrait que le chat jouait avec un élastique qui traînait sur la table. Le temps de réaliser qu’il était vraiment en train d’avaler le foutu élastique, il était trop tard…

J’ai interrogé le DGoogle qui ne m’a pas rassurée en me parlant de possible occlusion intestinale nécessitant une opération d’urgence. J’ai fait appel à ma vétérinaire qui m’a conseillé de donner au chat une pâte laxative, de surveiller de près ses symptômes et sa litière et de consulter s’il manque d’appétit et que son état se détériore.

Un jour, tu imagines que ta vie pourrait devenir un long ronronnement tranquille. Le lendemain, ton chaton décide d’avaler un élastique et tu cours acheter du laxatif pour chat.

En partant à la recherche de ladite potion en ce beau samedi matin, je me suis posé à rebours la question Pierre-Yves McSween. En avais-tu vraiment besoin ?

J’ai eu l’impression que je payais le prix de mon vote consultatif truqué.

Tu voulais un chat, hein ? Tant pis pour toi… Stresse maintenant.

J’ai appelé ma mère qui, d’Alep à Montréal, a toujours eu des chats et a vite fait de relativiser les choses.

« T’inquiète pas. Une fois, en Syrie, le chat a avalé l’alliance de ta grand-mère… On a fini par la récupérer ! »

Je n’ai pas demandé les détails. C’était déjà trop d’infos pour moi. Mais elle avait raison. L’épisode de l’élastique s’est terminé dans la litière, sans opération d’urgence, au grand bonheur de toute la famille devenue résolument pro-chat.

Malgré tous les tracas, la vérité, c’est que je ne reviendrai sur ma décision pour rien au monde.

Consultez un article portant sur l’étude