Nouveau scandale de viol collectif à Hockey Canada. Allégations d’inconduites sexuelles contre l’humoriste Philippe Bond. Absolution conditionnelle pour l’ingénieur Simon Houle coupable d’agression sexuelle…

L’actualité estivale accablante rappelle qu’il n’y a pas de vacances pour la culture du viol.

Je me souviens du tollé la première fois que j’ai utilisé cette expression dans une chronique. C’était en 2014. C’est l’autrice féministe et professeure de littérature à l’UQAM Martine Delvaux qui m’avait ouvert les yeux sur le phénomène. Elle mettait la loupe sur une culture misogyne qui ne dit pas son nom et qui ne faisait pas les manchettes. Une culture qui voit les femmes comme des choses à consommer, encourage et banalise les violences sexuelles pour ensuite accuser les victimes d’en être responsables, de mentir et d’y prendre plaisir.

Je me souviens du tollé. Pas tant à l’endroit du phénomène dénoncé que devant les mots employés.

« Voyons donc, culture du viol ! De quoi vous parlez ? Vous perpétuez un mythe inventé par des féministes frustrées ! Honte à vous. »

C’était quelques mois avant le mouvement #agressionnondénoncée, né dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, qui a libéré une certaine parole et fait voir à ceux qui en doutaient que cette culture, hélas, n’est pas une invention.

En 2017, d’autres vagues de dénonciations ont suivi dans le sillon de l’affaire Weinstein et du mouvement #moiaussi. Ici comme aux États-Unis, des enquêtes journalistiques ont mené à des procès et d’importants débats de société.

Il y a eu un éveil des consciences et des actions politiques. Des têtes sont tombées. Beaucoup, aussi, se sont juste cachées dans le sable.

Cinq ans après #metoo, on est rendus à combien de vagues déjà ? Je ne sais plus. Comme pour la COVID-19, on n’a plus trop envie de compter devant cette « pandémie de l’ombre » (dixit l’ONU), aggravée par la crise sanitaire. Les vagues et les ressacs se suivent, se ressemblent et épuisent. Et même si les choses évoluent petit à petit grâce au courage de victimes qui prennent la parole et au travail journalistique qui entraîne un relais politique, le déni et l’aveuglement volontaire persistent. Des gens continuent de dire que cette culture insidieuse qui brise tant de victimes n’existe pas.

On regarde les filles tomber. On fustige le « tribunal populaire » des médias, en opposant bêtement la « fausse » justice médiatique et la « vraie » justice des tribunaux. Plutôt que de saluer les prises de parole des victimes et le travail journalistique rigoureux qui font œuvre utile, on crie au « lynchage ». On prétend protéger la présomption d’innocence alors que l’on ne fait que garantir l’impunité aux prédateurs. Ou alors on fait semblant d’être surpris et outrés par ce qu’on a soi-même balayé sous le tapis avant que des journalistes le soulèvent.

Sous le tapis puant de Hockey Canada, il y a un tel amas que ça fait des bosses immenses. Le tapis couvrant les violences sexuelles, qui était financé à même les cotisations des membres de la fédération, avait des airs de chameau. Ça pourrait être la carpette officielle de la culture du viol. Mais personne à Hockey Canada n’avait remarqué, semble-t-il, avant que le scandale éclate sur la place publique, que la ministre des Sports Pascale St-Onge suspende le financement de la fédération et que des journalistes continuent de fouiller le dossier.

En plus du viol collectif qui serait survenu en marge d’un évènement chapeauté par Hockey Canada en 2018, on a appris vendredi qu’une autre affaire sordide d’agression sexuelle impliquant des membres de l’équipe nationale junior se serait produite en 2003. Une demi-douzaine de joueurs se seraient filmés en train d’agresser une femme nue et inconsciente, selon TSN.

Que ce soit dans le milieu du hockey, celui du spectacle ou ailleurs, la même culture du silence et de la dissimulation est à l’œuvre. On ne parle pas de prédateurs individuels. On parle, pour reprendre les mots de Jodi Kantor, l’une des journalistes du New York Times qui ont révélé le scandale Weinstein, d’un « système complet réduisant au silence les femmes et effaçant leurs expériences ».

Lorsqu’on dénonce la culture du viol, c’est ce système qui est en cause. C’est tout le contexte institutionnel et social qui permet encore de banaliser les violences sexuelles, d’en minimiser les conséquences, de déresponsabiliser les agresseurs et de rejeter la faute sur les victimes.

C’est exactement ce qu’on a vu avec Hockey Canada, qui a lamentablement géré des allégations gravissimes de viol collectif.

C’est exactement ce qu’on a vu dans l’affaire Philippe Bond, à qui des employeurs ont continué d’offrir des contrats même si ses comportements étaient connus depuis longtemps.

C’est exactement ce qu’on a vu dans l’affaire Simon Houle, cet ingénieur qui s’est vu offrir par un jeune juge une absolution conditionnelle pour une agression sexuelle parce qu’il a fait ça vite, est quand même de « bonne moralité » et qu’il serait si triste de nuire à sa carrière. (La peine a heureusement été portée en appel et le juge Matthieu Poliquin est visé par une plainte au Conseil de la magistrature.)

Ce serait rassurant de penser que la culture qui rend encore possibles de telles choses en 2022 est celle de vieux dinosaures en voie d’extinction. Hélas, dans ces trois cas, on voit que l’espèce se renouvelle. Et qu’il y a encore bien des tapis à soulever.