Je déteste le slogan « vivre avec le virus ».

Je le déteste parce que c’est un slogan en trompe-l’œil qui cache un cimetière. Comme ces peintures qui s’amusent à nous donner l’illusion d’une vie réelle en relief, il laisse croire que l’on « vit » avec le virus lorsqu’on ferme les yeux sur les gens qui en meurent.

Ici comme dans d’autres pays occidentaux, l’expression s’est imposée depuis plusieurs mois dans les discours gouvernementaux sur la COVID-19, comme si elle marquait une phase nouvelle, alors qu’il n’en est rien.

« On vit déjà avec le virus ! On fait l’oblitération des sacrifices que la population québécoise a faits avec la COVID-19. Ça fait plus de deux ans que ça taxe notre vie au quotidien et que tout un chacun fait des sacrifices importants », m’avait dit en avril la Dre Joanne Liu, sommité mondiale dans la gestion d’urgences pandémiques et sanitaires, pour qui cette expression est un « non-sens ».

La nouvelle phase marquée par ce slogan apparaît davantage comme une phase d’amnésie collective et de déni. Car ce n’est pas vivre avec le virus que faire semblant qu’il n’est plus là. Ce n’est pas vivre avec le virus que s’en remettre à une gestion du risque du chacun pour soi. Ce n’est pas vivre avec le virus qu’invisibiliser ceux qui en souffrent et en meurent.

Alors que le Québec vient de franchir la barre des 2000 hospitalisations liées à la COVID, le virus ne prend pas de vacances. Il n’est pas en campagne de séduction préélectorale. Il se contrefiche de notre ras-le-bol pandémique.

Parlez-en aux soignants des urgences débordées qui ont l’impression de vivre cette septième vague dans un univers parallèle, comme en témoigne notre reportage de lundi1. D’un côté, l’univers trompe-l’œil des gens qui « vivent » avec le virus comme s’il n’existait plus, dans l’insouciance des vacances. De l’autre, celui du personnel soignant essoufflé qui, au verso de cette normalité illusoire, doit affronter son pire été pandémique. Un été marqué par une forte transmission communautaire, une hausse des hospitalisations et des morts beaucoup plus nombreux2.

Contrairement à l’illusion entretenue par le slogan « vivre avec le virus », on meurt encore beaucoup avec le virus. Beaucoup trop.

Juste dans les six premiers mois de 2022, un plus grand nombre de Québécois sont morts des suites de la COVID-19 que pendant toute l’année 2021. On parle de 3741 personnes décédées3. C’est plus que le nombre de victimes des attentats terroristes du World Trade Center. Et pourtant, ça provoque à peine un haussement d’épaules, comme s’il s’agissait désormais d’une fatalité. Que voulez-vous ? On doit bien « vivre avec le virus », quitte à en mourir…

Il n’y a pas qu’au Québec que l’expression résonne comme un appel au déni qui tourne le dos à la science et à la responsabilité collective.

« Vivre avec le virus ne veut rien dire. Ça veut juste dire qu’on essaie de retourner à la normale en ignorant la situation », a dit en entrevue à Radio-Canada Christina Pagel, professeure de l’University College de Londres. Sans mesures de mitigation, on ne fait que prolonger la pandémie, croit cette membre d’Independent SAGE, un groupe indépendant de chercheurs prodiguant des conseils scientifiques pour la gestion de la pandémie4.

En France, où l’expression est aussi utilisée par Emmanuel Macron, des experts émettent les mêmes critiques. « “Vivre avec le virus” est un slogan vide de sens », a dit l’épidémiologiste William Dab, ex-directeur général de la santé, en entrevue à France Info.

« Évidemment qu’on va vivre avec le virus, vu qu’on ne va pas le détruire. Plus personne (même les Suédois) ne table sur une immunité collective contre un virus avec un tel potentiel de mutation. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’on ne fait rien par fatalisme ? Ou au contraire qu’il faudrait revenir à des mesures liberticides ? Je crois qu’on peut être plus intelligents5. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Jeune homme masqué parmi la foule dans le Quartier des spectacles, à Montréal

Être plus intelligents, ça ne veut pas dire revenir à l’époque du confinement et du couvre-feu. Ça veut dire d’abord et avant tout bien informer la population. Dire clairement que la pandémie n’est pas terminée. Que non, ce n’est pas juste un « rhume », mais bien une grave menace. Expliquer mieux encore les moyens de se protéger tout en protégeant les plus vulnérables : aller chercher sa dose de rappel, ventiler, porter un bon masque quand on est dans un endroit clos très fréquenté…

C’est certain que c’est ennuyeux de porter encore un masque, en pleine canicule de surcroît. Mais ça m’apparaît moins ennuyeux que de laisser mourir des gens avec le virus en se faisant croire que c’est la seule façon de vivre avec.

1. Lisez « Une vague, deux mondes » 2. Lisez « 2022, le pire été pandémique au Québec » 3. Lisez « Déjà plus de morts qu’en 2021 » 4. Consultez l’article de Radio-Canada 5. Lisez l’entrevue de France Info