D’un côté, une plage bondée, des terrasses et un théâtre bien occupés. De l’autre, des urgences qui débordent et un personnel essoufflé. Face à la septième vague, « deux mondes » s’affrontent.

Jamais depuis le début de la pandémie la plage Major, à Sainte-Agathe-des-Monts, n’avait connu un aussi gros achalandage. Environ 2500 personnes y étaient rassemblées dimanche, une scène qui tranchait avec l’ambiance à l’hôpital Laurentien, à quatre kilomètres de là, où l’unité COVID était, elle aussi, pleine à craquer.

Venus de Mirabel avec leurs quatre enfants pour profiter de l’eau et du soleil aux abords du lac des Sables en cette journée quasi caniculaire, Steeve Messier et Géraldine Guilbault coulent du bon temps. « On sent que ça existe [la COVID-19], mais [sans plus]. L’important, c’est de rester conscient », dit Géraldine Guilbault. « On va se plier à ce qui est obligatoire », d’ajouter son conjoint.

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Géraldine Guilbault et Steeve Messier sur la plage Major

Un peu plus loin, de jeunes Montréalais ayant emprunté le métro, l’autobus, puis la voiture d’une sœur, se font bronzer. L’endroit est particulièrement fréquenté par des touristes, confirme la sauveteuse Rosie Lynch. « Pendant les tournois de volleyball et les semaines de la construction [qui débutent vendredi prochain], c’est vraiment là qu’on a le plus de monde », explique-t-elle.

Les foules peuvent alors atteindre facilement 2500 personnes, soit 1000 de plus que durant les deux derniers étés où la capacité maximale de l’endroit était limitée à 1500 personnes par les autorités de santé publique, selon ce qu’ont indiqué les employés rencontrés.

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Dimanche, quelque 2500 personnes profitaient de la plage Major, à Sainte-Agathe-des-Monts.

Pour l’un d’entre eux, Henry Lemay, le fait de voir ces restrictions tomber est une vraie bénédiction puisqu’il occupait le rôle ingrat de devoir gérer la distanciation physique entre baigneurs.

Mais si la vie semble avoir repris son cours normal sur la plage Major, tous ne partagent pas cette même insouciance. Attablés de l’autre côté du lac, Guy Nepveu et sa conjointe Louise Deschambault préfèrent regarder la foule de loin.

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Louise Deschambeault et Guy Nepveu au bord du lac des Sables

« On aime beaucoup le plein air, je ne pourrais pas m’en passer, mais on préfère ne pas trop se coller aux gens », confie celle dont la sœur est justement revenue de vacances au Lac-Saint-Jean avec le fameux virus. « Il faut vivre avec, mais ce n’est pas fini. »

Pour la Dre Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à l’UQAM, les privations des dernières années expliquent en partie le besoin de socialisation actuel. Mais d’autres facteurs jouent aussi un rôle, comme le retrait des restrictions sanitaires et le fait qu’une grande partie de la population a été infectée par le virus sans avoir de complications. « On est de moins en moins dans la menace, qui faisait en sorte qu’on était porté à suivre les recommandations », souligne-t-elle.

La saison estivale avait été associée, jusqu’à maintenant, à plus de sécurité, mais la situation actuelle semble indiquer un renversement de la tendance.

En effet, 2022 est à ce jour le pire été pandémique qu’a vécu le Québec. En plus des morts beaucoup plus nombreuses, la province enregistre beaucoup plus d’hospitalisations et affiche une forte transmission communautaire.

Le virologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Benoit Barbeau indiquait samedi à La Presse que le Québec n’était pas rendu dans une phase endémique, mais que, à son sens, la population agit comme si c’était le cas.

« On n’est pas encore capables de contrôler le virus, on ne peut pas le prévoir, il n’est pas cyclique comme l’est l’influenza, par exemple, expliquait M. Barbeau. C’est ce qui nous surprend tous en ce moment. »

Lisez « 2022, le pire été pandémique au Québec »

Un hôpital sous tension

En pleine septième vague, le Québec fait maintenant face à une nouvelle réalité : les nouveaux variants brisent de plus en plus la « logique saisonnière » à laquelle nous avait jusqu’ici habitués la COVID-19.

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L’hôpital Laurentien, à Sainte-Agathe-des-Monts

Malgré la relative tranquillité à l’extérieur de ses murs, l’hôpital Laurentien est frappé de plein fouet par cette nouvelle réalité et traverse une période critique en cet été pandémique.

Les 24 lits aménagés pour accueillir des patients atteints de la COVID-19 sont tous occupés en ce dimanche ensoleillé, confie une infirmière rencontrée dans le stationnement et qui souhaite demeurer anonyme par peur de représailles. Parmi ces patients, plusieurs auraient attrapé la maladie durant leur séjour dans l’établissement.

Cette situation est rendue plus difficile en raison du manque de personnel. Par exemple, dimanche, des trois préposés aux bénéficiaires normalement en poste, aucun n’était là, indique l’infirmière.

Un serait en vacances estivales, l’autre aurait attrapé la COVID-19, et la troisième aurait quant à elle droit à ses fins de semaine. « La conséquence, c’est que les gens ne se feront pas laver aussi souvent, ils vont devoir attendre ou même sauter des repas », soupire-t-elle.

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Huguette Jaumier et Daniel Barbier devant l’hôpital Laurentien

Une situation confirmée en partie par Huguette Jaumier, venue au chevet de son mari mourant. « [Le personnel], ils sont débordés, mais ils sont présents malgré tout », dit-elle.

Au sujet des mesures sanitaires allégées et de l’ambiance somme toute normale à l’extérieur de l’hôpital, l’infirmière est catégorique : « C’est deux mondes. »

Submergés

Comme de fait, dimanche après-midi, tous les hôpitaux des Laurentides affichaient un taux d’occupation moyen de 147 %, soit bien plus que pour l’ensemble du Québec, où ce taux se chiffrait à 104 %. Dans le peloton, l’hôpital Laurentien affichait, lui, un taux d’occupation de 161 %, tandis que l’hôpital de Mont-Laurier était complètement submergé à 260 %.

La situation n’était guère mieux dans la métropole, où l’Hôpital de Montréal pour enfants a dû restreindre ses services, étant donné « un nombre élevé de patients ayant besoin d’une hospitalisation ou de soins critiques ».

« Cette augmentation met à rude épreuve les services d’urgence, qui doivent prendre soin des patients en attente d’un lit. Par conséquent, nous sommes actuellement incapables de recevoir les patients dont l’état n’est pas urgent (catégories 4 et 5) », a-t-on indiqué par l’entremise des réseaux sociaux.

Des réflexes qui reviennent

Pendant ce temps, rue Principale, à Saint-Sauveur, l’ambiance rappelait la période prépandémie, comme le souligne la propriétaire du tout nouveau restaurant Monbistro, Carole Vaillancourt.

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La rue Principale, à Saint-Sauveur, dimanche

Pour la Dre Beaulieu-Pelletier, ce retour s’apparente aux rebonds qui existent souvent après les crises majeures. « On peut s’attendre à ce que beaucoup de gens aient ce besoin très intense de reconnecter, de voyager, estime-t-elle. Et de façon plus importante qu’avant. »

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Nicole Asselin et Michel Linteau

Dans un parc adjacent, un concert se prépare. Nicole Asselin discute avec un voisin du quartier. « C’est pas mêlant, c’est comme avant », constate-t-elle.

À Saint-Jérôme, une petite foule flâne devant le théâtre Gilles-Vigneault, où a lieu une représentation de la pièce Sainte-Marie-la-Mauderne. Durement affecté par les mesures sanitaires, le milieu culturel semble en avoir conservé certains réflexes.

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Spectateurs au théâtre Gilles-Vigneault, à Saint-Jérôme

À l’entrée, une employée, Chantal, distribue du gel antibactérien. La moitié des spectateurs qui se dirigent en deux files vers la salle portent un masque. Celui-ci est réapparu il y a environ deux semaines, estime une gérante, Geneviève. « Je le mets partout où je vais », indique pour sa part Jeannine Tremblay.

Dehors, le spectateur Michel Aubert et sa conjointe ont eu un triste rappel de la situation pandémique. « Ce sont deux de nos amies qui nous accompagnent alors que ce devait être ma fille et son chum, mais ils ont attrapé la COVID », dit-il en soupirant.

Il n’est sûrement pas le seul qui, à l’approche des vacances de la construction, devra changer ses plans à cause de la COVID-19.

Avec la collaboration de Lila Dussault, La Presse