Tout restera donc secret dans l’affaire de la « Personne désignée ».

Pourquoi ? D’abord parce que la Cour d’appel en vient à la conclusion qu’elle n’a pas le pouvoir de modifier l’ordonnance de huis clos total décrétée par le premier juge. Mais ensuite que si elle l’avait, elle n’y changerait rien : elle ne divulguerait ni les dates, ni la ville, ni le corps policier impliqué, ni le tribunal, ni le nom du juge, ni celui des avocats impliqués.

Car divulguer la moindre de ces informations génériques « mènerait directement à Personne désignée (P. D.) ».

Comment diable le nom du juge présidant un procès peut-il « mener directement » à identifier P. D. ?

La Cour d’appel ne nous l’a pas expliqué. À moins que ça ne soit dans les passages caviardés du jugement rendu public mardi. Mais vu qu’ils sont caviardés, nous sommes en déficit de pédagogie…

Car c’est de cela qu’il s’agit ici. Le manque de justifications pour une mesure aussi exorbitante.

Aucun média ne veut identifier P. D. Cette personne risque sa vie.

Personne non plus ne remet sérieusement en question le fait que ce genre d’affaires doit être traité à huis clos. Ça fait partie de la courte liste des exceptions au principe de la justice publique en démocratie : protéger quelqu’un risquant sa vie en infiltrant le milieu criminel pour aider à résoudre des crimes importants.

Mais sans explication, même minimale, on ne peut pas voir le chemin qui mène du nom du tribunal (on sait clairement qu’il s’agit de la Cour du Québec) au nom de ce mystérieux individu. Si c’était si évident, la juge en chef Lucie Rondeau n’aurait pas demandé l’accès au dossier – qui vient de lui être refusé.

Pour la Cour d’appel, tout part du fait que l’État a accusé P. D., après avoir conclu une entente avec lui. Car à mesure que P. D. donnait de l’information à la police, on s’est rendu compte qu’il avait lui-même trempé dans certains crimes. Sans lui enlever le privilège de l’anonymat, les procureurs ont déposé des accusations criminelles contre lui.

Ce genre de choses n’arrive pratiquement jamais. Quand la police fait un pacte avec le diable – car les indics sont généralement des criminels eux-mêmes –, elle ne se retourne pas contre lui. On utilise ses informations pour des enquêtes. Il arrive qu’on le fasse témoigner. Il est relativement facile de cacher l’identité d’un témoin dans la masse de preuves d’un procès.

Sauf qu’ici, l’indic est lui-même l’accusé. C’est pourquoi son procès devait être tenu à huis clos.

Le simple fait pour l’État d’avoir rompu son pacte en l’accusant était une faute, dit la Cour d’appel. C’est pour ça que P. D. a bénéficié d’un arrêt complet des procédures criminelles – le premier juge l’avait déclaré coupable d’un crime x.

« Le fait d’accuser un informateur du crime qu’il dénonce lui-même comporte son lot de problèmes, notamment en entraînant inévitablement une violation du droit à un procès public de l’accusé et la violation des droits des médias », écrivait la Cour en février, dans le jugement qui a fait connaître le procès secret.

Jusque-là, personne ne dit vraiment le contraire. Ce que les médias plaidaient le mois dernier, c’est que la protection « absolue » des indicateurs de police n’inclut pas les détails inoffensifs comme le nom du juge.

Eh bien, d’après la Cour d’appel, cette fois, oui.

Pourquoi ?

Je viens de vous dire qu’on ne nous le dit pas…

C’est à se demander pourquoi la Cour d’appel a semblé faire des remontrances au juge pour l’extrémité des mesures de secret qu’il a décidées.

Après nous avoir dit que le secret total de ce procès fantôme était « absolument contraire » aux principes fondamentaux de notre droit, après avoir écrit que l’ampleur du secret était « exagérée », la plus haute cour au Québec nous dit maintenant que le premier juge anonyme n’avait pas vraiment le choix.

« Les circonstances ont forcé la main du juge », écrit la Cour. Et les circonstances, c’est cette décision mal avisée d’accuser un indicateur.

Au fait, ce n’est pas le juge qui a voulu garder l’anonymat. Et toutes les parties impliquées ont travaillé avec « honnêteté », insiste la Cour d’appel.

Je n’en doute pas. Je vois facilement d’ici la défense, qui veut protéger l’accusé, et la poursuite, qui veut protéger son ancien indicateur, se mettre d’accord pour inquiéter le premier juge quant à la divulgation du moindre renseignement. Et le juge de décréter ce secret total, y compris non seulement le contenu, mais l’existence même du procès.

Mais la publicité des débats existe justement pour que le public puisse juger par lui-même de cette honnêteté. Au lieu de s’en remettre à des sentences rassurantes : ne vous en faites pas, tout s’est bien passé !

Je lis entre les lignes de ce jugement l’agacement de la Cour d’appel devant les critiques, elle qui estime avoir fait œuvre de réparation maximale en révélant l’existence de ce procès. Elle a rendu un jugement caviardé, mais au moins, elle a fourni quelques vagues faits…

Mais comment accepter un tel résultat ?

La Cour d’appel vient de nous dire : les droits des médias (et surtout du public à savoir ce qui se passe devant les tribunaux) ont été violés, mais vous n’avez aucun recours, vu qu’on ne peut pas légalement modifier l’ordonnance du juge – la Cour d’appel n’a pas ce pouvoir. Et comme vous ne saviez pas que ce procès avait lieu, vous ne pouviez pas plaider quand c’était le temps.

En somme, y a rien à faire.

C’est un résultat d’autant plus inacceptable que ce jugement, qui ne peut corriger le passé mais prétend influencer l’avenir, dit essentiellement que le juge a bien fait. C’est seulement l’État qui n’aurait jamais dû poursuivre P. D.

Si par impossible une autre P. D. était accusée, ou qu’une autre affaire « délicate » survenait, le prochain juge serait-il autorisé à procéder de la même manière ? Témoins entendus hors de sa présence, dossier scellé, anonymat pour tous, etc. ?

Ce juge bien intentionné n’a jamais requis l’avis des médias (c’était optionnel, et la Cour ne lui en fait pas reproche) ; il a encore moins avisé la juge en chef de sa cour en prenant ces mesures tout à fait sans précédent, et qui étaient censées ne laisser aucune trace.

Quelle porte est maintenant ouverte pour ces « cas rarissimes » ?

Comment accepter d’être placés devant une aussi bizarre conclusion : tout ceci était exagéré, inacceptable… mais irréparable, et on ne peut pas vraiment vous expliquer pourquoi ?

Ça fait franchement désordre.

Il reste à espérer que la Cour suprême mette de l’ordre.

Lisez l’éditorial de Vincent Brousseau-Pouliot, « Et la confiance du public ? »

Les détails du procès secret demeureront secrets, tranche la Cour d’appel

Un groupe de médias, incluant La Presse, a été débouté par la Cour d’appel mercredi après avoir demandé la publication de plus d’informations concernant le procès secret d’un informateur de police. Les requérants incluent également la juge en chef de la Cour du Québec et le procureur général de la province, de même que d’autres médias comme Radio-Canada, La Presse Canadienne, le Groupe TVA et Montreal Gazette. Collectivement, ils demandaient notamment la levée d’ordonnances de caviardage et de mise sous scellés, un accès au dossier d’appel et la levée d’ordonnances de confidentialité dans ce dossier rendu public en mars par la Cour d’appel et La Presse. Les requêtes ont été rejetées en raison des exigences du « privilège de l’indicateur » qui vise à protéger l’identité des informateurs de police. L’affaire concerne un informateur accusé d’un crime dont il a lui-même révélé l’existence aux enquêteurs, ce qui semblait violer les termes de son entente avec la police. La Cour d’appel avait auparavant accueilli une requête en arrêt des procédures contre l’informateur pour cause de « conduite abusive de l’État » après que l’accusé a été condamné en première instance.

Lisez le texte complet

Frédérik-Xavier Duhamel, La Presse