La réponse officielle et tant attendue de Radio-Canada au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) m’a satisfait. Et rassuré.

Dans un texte incisif, la société d’État accepte de s’excuser auprès de ceux qui auraient pu être blessés (particulièrement le plaignant) en entendant à quelques reprises à l’émission Le 15-18 le titre de l’essai de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, mais dit à l’organisme de prendre son gaz égal et de se mêler de ses affaires.

La phrase importante de cette réplique est la suivante : « Nous considérons que le CRTC a outrepassé ses pouvoirs en ce qui a trait à l’indépendance du diffuseur public. »

Une société publique fédérale qui recadre un organisme public fédéral… Disons que le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a du pain sur la planche à son retour cet automne.

Pour Radio-Canada, la décision du CRTC est une « grave erreur » et représente une « menace » parce qu’il tente « de s’octroyer un pouvoir qui compromet l’indépendance journalistique ». On souligne que ceux qui ont pris cette décision « n’avaient ni l’autorité ni la juridiction » pour la rendre.

Et vlan dans les dents !

Plus loin, on peut lire : « Nous ne pouvons tout simplement pas accepter cette ingérence du CRTC dans le travail journalistique au pays […] C’est pourquoi, après avoir suivi toutes les étapes décrites ci-dessus, nous devons faire appel quant au droit juridictionnel du CRTC de prendre des décisions qui devraient relever de nos chefs des nouvelles. L’indépendance journalistique est primordiale pour l’ensemble d’entre nous. »

Si on avait un quelconque doute que cette décision du CRTC est le dérapage de l’année dans le monde des communications, voilà qui confirme l’errance dont ont fait preuve les membres qui sont arrivés à la conclusion que la mention du titre d’une œuvre littéraire contenant le mot commençant par un « N » avait la même portée qu’une insulte raciste.

À l’origine de cette affaire, il y a Ricardo Lamour, un travailleur social et artiste noir montréalais, qui a formulé une plainte contre Radio-Canada en entendant l’échange entre le chroniqueur Simon Jodoin et l’animatrice Annie Desrochers au cours duquel a été mentionné à quelques reprises le titre du livre de Vallières.

Le plaignant déplore qu’on ait mentionné le titre du livre sans mise en garde préalable ni mise en contexte de la discussion. Or, quand on écoute la fameuse chronique du 17 août 2020, rien n’est plus faux.

Non seulement le chroniqueur place judicieusement l’œuvre dans son contexte historique et sociologique, mais il nous dit qu’il a choisi de parler de ce livre à la suite d’une chronique de ma collègue Isabelle Hachey publiée deux jours plus tôt dans La Presse et qui portait sur les réactions suscitées par l’emploi de ce même titre par une professeure de l’Université Concordia.

Avez-vous l’impression, comme moi, que nous sommes en face d’un ensemble de poupées russes ?

La chroniqueuse d’un journal a une réflexion sur l’injustice subie par une enseignante, un chroniqueur de radio rebondit sur cette réflexion et se demande si « certaines idées deviennent taboues », et il fait l’objet d’une plainte.

Attendez, ce n’est pas tout. Simon Jodoin a conclu sa chronique en demandant aux auditeurs de ne pas s’arrêter seulement au titre et d’aller lire ce qu’on dit dans cette œuvre.

Visiblement, le plaignant s’est arrêté au titre.

Cela dit, la haute direction de CBC – Radio-Canada a dû marcher sur des œufs en rédigeant cette lettre. On sait que la société d’État fait preuve d’une extrême prudence quand vient le temps de traiter les questions d’inégalités, de racisme et d’inclusion.

Radio-Canada doit d’ailleurs produire d’ici à la rentrée un document qui contiendra des « pratiques exemplaires » en matière de programmation afin de mieux traiter ce genre de situation. Je suis curieux de voir ce qu’on y trouvera.

Mais rarement une décision du CRTC aura suscité autant de réactions. Il y avait beaucoup de pression pour que la société d’État ne courbe pas l’échine. Au Québec, chroniqueurs, éditorialistes et politiciens étaient unanimes : le CRTC a rendu une décision bête et dépourvue de nuances.

Il y a aussi eu cette lettre signée par une cinquantaine de personnalités, dont Céline Galipeau, Patrice Roy, Anne-Marie Dussault et Michel Desautels.

Radio-Canada n’avait pas le choix de se tenir debout au nom de la liberté d’expression et de l’indépendance journalistique.

La société d’État entend porter la décision du CRTC en appel. Espérons que d’ici là, on assiste à un renouvellement au sein du comité chargé d’étudier ce genre de dossier. Car hormis deux membres qui ont émis une opinion allant à l’encontre de la décision, les autres ont complètement emprunté le chemin de la complaisance et de la facilité, celles qui préfèrent éviter l’intelligence des citoyens.

Ce n’est pas ainsi qu’on fait avancer une société.

Lisez la chronique d'Isabelle Hachey Écoutez la chronique de Simon Jodoin