« Il n’y a rien, rien, rien ! » Un an que Lou LeBlanc cherche. Un an qu’elle ne trouve pas. Il n’y a rien pour elle à New Richmond, la petite ville où elle a grandi, en Gaspésie. Elle est revenue s’y établir il y a quelques années, pour aider sa mère malade. Elle a tout essayé. Et elle n’a plus de temps. À la veille du 1er juillet, elle doit se résoudre à plier bagage. Évincée de son logement, à 74 ans. « Le propriétaire a été bien fin, il a déménagé mes choses dans un locker. »

Je voulais des témoignages qui incarnent la crise du logement au Québec. On m’a conseillé de regarder du côté de la Gaspésie. J’ai été servie. Trop bien. Les témoignages se sont mis à pleuvoir, tous plus affligeants les uns que les autres.

Il y a Lou LeBlanc, qui a téléphoné partout, même à la mairie, sans succès. Il était minuit moins une quand un ami d’enfance l’a prise en pitié. « Il m’a dit : “Regarde, j’ai une chambre, tu pourras la louer.” »

PHOTO FOURNIE PAR LOU LEBLANC

Lou LeBlanc

Il y a Emma, 26 ans, qui cherchait à Bonaventure. Ses parents y vivent sur une grande terre inutilisée. À cause des règlements de zonage, impossible d’y construire quoi que ce soit. Au bout de deux ans de recherches, Emma a trouvé à se loger au village de Saint-Omer… à une heure de route. « Avec le prix [de l’essence], je ne peux pas me permettre d’être proche de ma famille et de mes amis autant que je le voudrais. »

Elle s’estime chanceuse, dans les circonstances.

Il y a cette page Facebook, censée annoncer des logements à louer dans la Baie-des-Chaleurs, mais qui a pris les allures d’un babillard désespéré pour citoyens en quête d’un toit. Ici, ce sont les aspirants locataires qui s’annoncent, sans trop y croire, comme des naufragés lanceraient des bouteilles à la mer.

« Je suis à la recherche d’un logement, je vis dans un loyer avec des bestioles, humidité, fourmis. J’ai deux enfants et je suis enceinte. Ça serait quand même urgent svp. »

On fait défiler la page et des mots reviennent en boucle. Urgent. Désespéré. À bout. « Ça fait trois ans que je veux déménager, il n’y a rien. »

« Mon père et sa femme, 65 ans, leurs deux petits chiens qui illuminent leurs vies à chaque jour. Que vont-ils faire ? Dehors de leur maison avec un faible revenu. »

« Moi aussi, je suis à la rue le 30 [juin], que monsieur le propriétaire me dit. Je suis rendue à boutte. J’ai même plus de nerfs pour essayer de me débattre. »

« Ça fait deux ans que je cherche et je n’ai rien trouvé. J’ai été obligé de retourner en Outaouais. »

« Je ne peux pas croire qu’à mon âge, 43 ans, je vais devoir retourner chez mes parents. »

Il y a Anne-Marie Courtemanche, qui administre la page Facebook. Témoin quotidien du désespoir. Et, parfois, des pires fourberies. L’autre jour, elle a vu passer un logement à 1000 $ par mois, enfants non acceptés. C’était illégal, mais le propriétaire s’en foutait ; il a été submergé de demandes. Il a fait monter les enchères. Le lendemain, le loyer avait grimpé à 1500 $ par mois. Et, plus tard, à 2000 $ !

Il y a Marie-Ève O’Connor, qui voulait revenir s’installer à Chandler après trois années d’études à l’extérieur de la région. En six mois, la technicienne en santé animale n’a trouvé qu’un trois et demie hors de prix et des Airbnb. Plein d’Airbnb.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-ÈVE O’CONNOR

Marie-Ève O’Connor

Le moins qu’on puisse dire, c’est que des Airbnb, on n’en manquera jamais.

Marie-Ève O’Connor

Les touristes seront contents. Ils ne réaliseront pas que les logements qu’ils louent à prix d’or, pour les vacances, étaient occupés par des Gaspésiens jetés à la rue jusqu’en septembre.

En Gaspésie, 15 % des locataires sont priés de quitter leur logement pendant la saison estivale pour faire place aux touristes. Beaucoup n’ont nulle part où aller. « Il y a des gens qui campent pendant l’été. D’autres qui habitent dans des roulottes. Il y a beaucoup d’itinérance cachée, des gens qui habitent dans leur famille, chez des amis », rapporte Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec.

« Les villes n’arrêtent pas de dire que les jeunes doivent revenir en région après leurs études, mais elles ne sont même pas capables de nous loger, de nous trouver un toit », s’exaspère Marie-Ève O’Connor. « Elles n’ont pas l’air pressées de construire des logements pour assurer la relance économique. Elles aiment beaucoup mieux tout miser sur les touristes. »

Il y a des emplois, certes, mais pas de logements. Si ça continue comme ça, craint Anne-Marie Courtemanche, « il n’y aura plus personne, éventuellement, pour travailler dans nos commerces, dans nos écoles, dans nos services publics ».

La pénurie semble s’aggraver d’année en année. Si les autorités ne redressent pas rapidement la barre, le tissu social de la péninsule s’érodera plus vite encore que ses berges.

Quand la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, a nié l’existence d’une crise du logement au Québec, l’an dernier, la députée péquiste de Gaspé, Méganne Perry Mélançon, a voulu documenter le phénomène dans sa région. Comme moi, elle n’a pas eu besoin de chercher des témoignages : ils lui sont tombés dessus, les uns après les autres. Des anecdotes, elle en a récolté à la pelle.

Il y a ce journaliste de TVA, plein de potentiel. « Il a campé dans une vieille roulotte en pensant que ça allait être temporaire, raconte la députée. Il est resté là tout l’été, au camping de Cap-aux-Os, à faire du journalisme sur le terrain tout en vivant dans un milieu de vie très instable. Il est reparti… »

Il y a toutes ces autres occasions manquées pour la Gaspésie. Tous ces drames cachés. On peut n’y voir que des anecdotes. Mais placez-les bout à bout : elles formeront une crise sociale aussi évidente que le nez au milieu de la figure, aussi formidable qu’un pic, qu’un cap, qu’une péninsule.