« L’Université Laval se veut un lieu où toutes les voix peuvent être entendues et où différents points de vue peuvent être soumis et débattus dans un esprit d’inclusion, de respect et de dignité. »

C’est beau, non ? C’est tiré de l’énoncé institutionnel sur la protection et la valorisation de la liberté d’expression à l’Université Laval. Le texte, adopté en février 2021, proclame que « tout sujet peut être abordé et, devant ceux qui sont controversés, l’établissement évite la censure et favorise la prise de parole ».

C’est beau, mais on peut se demander si ces vertueux principes valent le papier sur lequel ils ont été écrits.

Le 13 juin, les ressources humaines de l’Université Laval ont suspendu sans solde, pour une durée de huit semaines, Patrick Provost, chercheur en biochimie. Pas pour une histoire de harcèlement ou d’absentéisme, comme en gèrent habituellement les RH.

Non, ce que l’Université reproche à Patrick Provost, c’est d’avoir tenu des propos controversés sur les vaccins à ARN messager de Pfizer et de Moderna, dont l’efficacité contre les ravages de la COVID-19 n’est plus à prouver.

Peu importe la valeur scientifique – faible, pour ne pas dire nulle – des arguments avancés par le chercheur : cette sanction, aussi rare que sévère, est malheureuse. Elle a de quoi faire trembler tous les profs d’université.

Spécialiste de l’ARN, Patrick Provost a subi des effets secondaires importants après avoir reçu sa première dose de vaccin. Migraines, dérèglement de son diabète. Depuis, il met en garde la population contre ce qu’il estime être des « vaccins développés en quelques mois et dans l’urgence ».

Ses inquiétudes ne sont évidemment pas partagées par l’immense majorité des scientifiques. Des milliards de doses ont été injectées dans des milliards de bras à travers le monde ; si les vaccins à ARN messager étaient dangereux, à cette étape-ci de la pandémie, on le saurait.

Qu’à cela ne tienne, le prof Provost a soutenu que les risques du vaccin, pour les enfants, étaient supérieurs aux bénéfices. Outré, un collègue de la faculté de médecine a porté plainte auprès de la direction de l’Université Laval. Il y a eu enquête ; la sanction est tombée.

Dans sa lettre de suspension, l’établissement reproche à Patrick Provost d’avoir fait preuve d’un « biais de confirmation volontaire dans le choix des informations retenues » et d’avoir manqué de responsabilité « envers le grand public, qui a été exposé à des études ne reflétant pas l’ensemble des connaissances scientifiques actuelles ».

Bref, l’Université Laval lui reproche d’avoir dérapé. Solidement.

Vous me direz : tant pis pour ce chercheur. Après tout, ce n’est pas un point de vue scientifique qu’il défend, mais un mensonge. Il mérite ce qui lui arrive, d’autant plus qu’en pleine pandémie, ses propos étaient non seulement erronés, mais irresponsables, voire dangereux.

C’est fort possible. Néanmoins, ce n’était pas également aux ressources humaines de trancher.

« Pour que les chercheurs puissent faire leur travail, ils doivent pouvoir soulever des questions et des hypothèses en toute liberté sans crainte de représailles. Même si leurs idées sont farfelues à première vue et qu’elles s’avèrent en bout de ligne complètement fausses », rappelle le journaliste scientifique Jean-François Cliche, qui a dévoilé cette affaire dans Le Soleil, dimanche.

Le syndicat des profs a déposé un grief pour défendre non pas les propos de Patrick Provost, mais son droit de les exprimer. Son président, Louis-Philippe Lampron, prof à la faculté de droit et expert en droits et libertés de la personne, craint une dérive : celle de « sanctionner les collègues qui ne respectent pas l’opinion majoritaire dans leur champ de discipline ».

C’est scandaleux ! Les professeurs ne sont pas les employés de la rectrice, ni des RH.

Yves Gingras, directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et technologies à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

Ce sont les collègues de M. Provost qui auraient dû le ramener à l’ordre. Pas en exigeant la censure, mais en réfutant ses propos, point par point. « C’est ça, la science. »

Je lui fais valoir que c’est peut-être vrai, en temps normal. Mais que les temps ne sont pas normaux. Un savant qui dérape, en cette ère de désinformation, trouve un large auditoire. Déjà, sur les réseaux sociaux, Patrick Provost est dépeint comme un martyr persécuté par l’Université, complice de Big Pharma.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Yves Gingras, directeur scientifique de l’Observatoire des sciences et technologies à l’UQAM

Je lui souligne aussi qu’il y a des limites à la liberté d’expression. Un prof d’histoire ne pourrait pas nier l’Holocauste. Un prof de physique ne pourrait pas enseigner que la Terre est plate. Et pourtant, je dois me rendre aux arguments d’Yves Gingras : la sanction n’est pas la solution.

Parce que « les idées minoritaires peuvent contenir une part de vérité qui n’est pas considérée par la pensée dominante et que d’en débattre peut mettre en lumière des éléments véridiques et justes ».

Ça aussi, c’est tiré de l’énoncé sur la liberté d’expression à l’Université Laval.

Lisez l’énoncé de l’Université Laval Lisez le reportage du Soleil