Samedi, ma collègue Isabelle Hachey m’a jeté par terre avec sa chronique intitulée « Sacrifiées sur l’autel de la vertu », qui décortique la spirale de confusion et de maladresse qui a mené au congédiement de deux infirmières d’un CLSC de Joliette, en mars 20211.

Petit rappel…

Septembre 2020 : Joyce Echaquan meurt à l’hôpital de Joliette, chapeauté par le CISSS de Lanaudière. La mère de famille atikamekw documente sa mort en vidéo. L’affaire force une prise de conscience nationale, interpelle le politique.

Mars 2021 : Jocelyne Ottawa fait un statut Facebook pour dénoncer deux infirmières qui l’ont, selon elle, mal traitée au CLSC de Joliette, lui aussi chapeauté par le CISSS de Lanaudière. Elles l’ont incitée à chanter, l’ont appelée « Joyce ». Mme Ottawa s’en offusque. Son statut devient viral.

Des voix s’élèvent partout pour dénoncer la situation. Le politique s’agite. Il vente fort. L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador est en colère. Tout le monde repense à la mort de Joyce Echaquan. À Joliette, dans le même CISSS !

Le CISSS de Lanaudière agit : paf, congédiées, les infirmières.

Affaire classée ?

Peut-être pas. Les infirmières ont contesté leur congédiement devant le Tribunal d’arbitrage du travail. Depuis un an, Isabelle Hachey a assisté aux huit jours d’audience, elle en a rapporté des centaines de pages de notes et…

Et l’histoire est plus compliquée qu’on ne le croyait.

Ce qui a scellé le congédiement, c’est la colère populaire, constate-t-on au Tribunal d’arbitrage. Pas les faits, pas le contexte.

En soignant la douleur de Mme Ottawa, les infirmières ont interagi avec elle en appliquant… les enseignements appris dans un atelier de sensibilisation culturelle autochtone offert par leur employeur.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE GILBERTE DUBÉ

Jocelyne Ottawa, Atikamekw de Manawan

Jocelyne Ottawa a même témoigné au Tribunal, disant désormais regretter ses mots… et le congédiement des infirmières.

Bref, un gâchis.

Il y a des leçons pour tout le monde dans le récit d’Isabelle Hachey. Je m’inclus là-dedans. Isabelle s’inclut là-dedans, elle a eu des mots très durs en chronique pour ces deux infirmières, peu après le statut Facebook de Jocelyne Ottawa.

Je ne dis pas qu’il faut attendre à chaque coup les conclusions du comité paritaire, du Tribunal ou de la commission d’enquête. Je dis que c’est du cas par cas. Parfois, toute la matière est là — témoignages, corroborations, images, documents — pour tirer des conclusions. Et s’indigner.

Mais dans le cas du statut Facebook de Jocelyne Ottawa ?

On n’avait que ça : un statut Facebook.

Dans le cas de Joyce Echaquan, on avait les images et les paroles de la négligence méprisante, c’était difficile à ignorer.

Je comprends la dynamique de la colère populaire qui fait grimper des gens dans les rideaux. Qui pousse des militants à demander des comptes, bruyamment. Et sans doute, neuf fois sur dix, ont-ils raison, tous ces gens.

Or, il semble que l’histoire du congédiement des deux infirmières pour « racisme » envers Jocelyne Ottawa, c’est LA fois sur dix où nous étions tous dans le champ. Je comprends les citoyens qui veulent du changement. Je comprends les militants, aussi : ce ras-le-bol de l’injustice éclaire leur réaction, la dixième fois…

Je comprends même la dynamique mentale du chroniqueur, qui vit dans la même société que ses lecteurs. J’ai déjà fait écho à une colère populaire, moi aussi… Ce qui m’a poussé à présenter des excuses car j’étais dans le champ2.

Une autre fois, j’ai résisté à cette colère populaire. C’était dans l’affaire Camara, du nom de ce pauvre homme erronément accusé de tentative de meurtre sur un policier, en janvier 2021.

Partout, ça hurlait au profilage racial. Je n’en étais pas si sûr. Vérification faite, j’ai acquis la certitude que le profilage racial n’était pas en cause3.

Plus tard, une enquête du juge Dionne confirmera que M. Camara n’a pas été victime de profilage4. Ce qui ne signifie pas l’absence d’erreur policière.

Je rappelle l’affaire Camara car à l’époque, la colère populaire exigeait quasiment que ce soit une affaire de profilage racial. Ça aurait racheté mille autres injustices précédentes impliquant mille autres Noirs et mille autres corps de police…

La colère populaire a toujours existé. Désormais amplifiée par les meutes numériques, elle devient rapidement un tsunami.

Dans la tempête, c’est aux institutions de trouver la force et la sagesse de résister, quand la colère populaire réclame la tête de quelqu’un.

La force, parce qu’il vente terriblement dans les bureaux des institutions, quand la colère populaire s’emballe. La foule veut des coupables, des têtes qui roulent.

La sagesse, parce que des fois, oui, des têtes doivent rouler, des gens sont responsables. Des fois, c’est très clair.

Et des fois, non.

La force et la sagesse, c’est de prendre le pas de recul pour décider — au cas par cas, j’insiste — à quel cas on fait face, ce coup-là.

Malgré la colère populaire.

1. Lisez la chronique « Infirmières de Joliette congédiées : sacrifiées sur l’autel de la vertu » 2. Lisez la chronique « Mea culpa, madame » 3. Lisez la chronique « Affaire Camara : deux chronomètres » 4. Lisez l’article « Mamadi Camara n’a pas fait l’objet de profilage racial, selon le juge Dionne »