En entendant François Legault parler de l’immigration comme d’une menace à la nation, dimanche, on aurait pu penser pendant un instant, en fermant les yeux, que c’était une Minute du patrimoine, mettant en scène un discours du début du siècle dernier.

J’ai pensé à Henri Bourassa. Pas le boulevard ni la station de métro, mais l’homme politique et fondateur du Devoir dont le discours sur la nation canadienne-française menacée par le péril migratoire a encore des échos aujourd’hui, comme on le constate dans l’excellent documentaire de Francine Pelletier Bataille pour l’âme du Québec1.

« La vérité, c’est que l’accroissement constant de l’immigration étrangère, des Îles Britanniques ou d’ailleurs, loin d’être matière à congratulations dans les discours du Trône, constitue le péril le plus grave qui menace l’avenir de la nation canadienne [française] », écrit Henri Bourassa dans un éditorial intitulé « Le péril de l’immigration », publié à la une du Devoir le 28 juillet 1913.

Plus d’un siècle plus tard, voilà que le premier ministre François Legault associe l’immigration qui dépend du pouvoir fédéral à une menace existentielle pour le Québec français. « C’est une question de survie pour notre nation ! », a-t-il dit.

Selon lui, si le Québec ne rapatrie pas de façon urgente les pleins pouvoirs en immigration et n’obtient pas le contrôle du programme de réunification familiale, « ça peut devenir une question de temps avant qu’on devienne une Louisiane ».

Bien sûr, la langue française, minoritaire en Amérique du Nord, devra toujours être défendue pour survivre au rouleau compresseur de l’anglais. Mais le parallèle Québec-Louisiane est pour le moins boiteux, comme l’ont déjà souligné plusieurs observateurs2.

Proportion de francophones en Louisiane : 1,84 %.

Proportion de francophones au Québec : 93,32 % .3

Différence non négligeable entre les deux : en 1921, la Louisiane a interdit l’enseignement du français dans ses écoles publiques et a fait de l’anglais la seule langue d’enseignement. Alors qu’au Québec, faut-il le rappeler, c’est précisément le contraire : la loi 101 adoptée en 1977 et mise à jour par le gouvernement caquiste oblige fort heureusement les enfants – y compris les fils et filles d’immigrants comme moi – à fréquenter l’école francophone jusqu’à la fin de leurs études secondaires.

Ce qui est tout aussi troublant que ce parallèle grotesque selon lequel les immigrants, même s’ils envoient leurs enfants à l’école francophone, condamnent la nation québécoise à sa disparition, c’est le parallèle bien réel avec un discours nationaliste conservateur aux relents xénophobes d’une époque que l’on croyait révolue.

Un discours qui nous rappelle tristement que la saison électorale est souvent aussi la saison des boucs émissaires. Pourquoi parler d’urgence climatique, de santé et d’éducation quand on peut faire diversion avec un épouvantail importé aussi commode ?

On ne se laissera quand même pas berner par toutes ces grands-mamans immigrantes en quête de réunification familiale qui risquent, avec la bénédiction du fédéral, de venir chanter des berceuses dans des langues étrangères à leurs petits-enfants pour mieux « louisianiser » le Québec…

Dans Bataille pour l’âme du Québec, l’historien Pierre Anctil rappelle que pour Henri Bourassa, toute forme d’immigration était problématique, car elle modifiait le rapport de force entre le Canada anglais et le Canada français. « C’est sur ces bases-là que, pendant de longues décennies, les nationalistes canadiens-français jusqu’à la Révolution tranquille se sont opposés farouchement à l’immigration, à la diversification. Moi, je vois ça en ligne droite avec certaines choses qu’on constate aujourd’hui, le même genre de discours… »

Plus d’un siècle plus tard, le contexte a changé, bien sûr, note l’historien. Mais les résistances sont fondamentalement de même nature, appuyées sur la même notion du Canada français du début du siècle dernier.

Un Canada français qui ne peut pas intégrer les immigrants et qui doit établir des balises identitaires de plus en plus nettes pour se protéger contre les intrusions étrangères.

En écoutant le discours du premier ministre tout de suite après avoir vu Bataille pour l’âme du Québec, j’ai eu l’impression que cette « ligne droite » dont parle Pierre Anctil est faite de curieux zigzags d’un train qui roule à reculons et prend du retard sur une société québécoise métissée, de plus en plus ouverte à l’immigration.

Comme si vous aviez pris la ligne orange du métro depuis le centre-ville en pensant vous rendre à la station Côte-Vertu.

Et vous entendez tout d’un coup : « Prochaine station : Henri-Bourassa ».

Vous ne vous êtes pourtant pas trompé de quai. C’est le train électoraliste qui, tout d’un coup, s’est trompé de siècle, roulant en sens inverse de l’histoire.

1. Regardez le documentaire Bataille pour l’âme du Québec 2. Lisez l’article « “Un parallèle un peu rapide” de Legault » 3. Consultez les statistiques des effectifs de francophones dans le monde