Alors que les Américaines voient leur droit à l’avortement menacé, je ne vais pas consacrer cette chronique à la perfidie des républicains qui s’inspirent de la Bible pour éclairer des débats très modernes sur le contrôle des femmes sur leur corps.

Évidemment que le Parti républicain est perfide. De plus en plus radical, de plus en plus méprisant des normes démocratiques, il pousse le curseur toujours plus à droite, au point de faire passer des types comme Dick Cheney pour des centristes.

Non, aujourd’hui, je veux juste rappeler cette vieille certitude qui est illustrée brillamment par la vie politique américaine…

La gauche veut avoir raison, la droite veut gagner.

Donald Trump a nommé trois juges à la Cour suprême. Il est devenu président à la faveur d’un caprice du système électoral américain : la démocrate Hillary Clinton a gagné le vote populaire, mais perdu au Collège électoral.

Fort bien, ça arrive.

Mais je me souviens très bien de ces progressistes qui se faisaient tirer l’oreille pour voter pour Mme Clinton, avant l’élection présidentielle de 2016. Je me souviens de son loooong combat contre un Bernie Sanders qui ne voulait pas jeter l’éponge pour l’investiture démocrate, ce qui a forcé Mme Clinton à se battre contre les feux amis jusqu’à trèèèèès tard dans la saison électorale. Je me souviens des progressistes qui ne savaient pas trop s’ils allaient voter pour Mme Clinton parce que trop ci, pas assez ça…

Mme Clinton était une candidate imparfaite, à des années-lumière du candidat Obama, huit ans avant, incapable de susciter les mêmes vagues d’enthousiasme.

Des démocrates ne sont donc pas allés voter. Peut-être avaient-ils « raison », dans leur désir de pureté progressiste.

Qu’est-ce qui est arrivé ?

Trump a gagné.

Et il a (notamment) nommé trois juges conservateurs à la Cour suprême des États-Unis, trois juges dont on peut soupçonner qu’ils sont contre le droit à l’avortement.

Je me souviens aussi de la juge Ruth Bader Ginsburg, à juste titre célébrée comme une héroïne de la lutte pour les droits des femmes aux États-Unis… Mais qui s’est accrochée beaucoup, beaucoup trop longtemps à son siège à la Cour suprême, jusqu’à sa mort à l’âge de 87 ans.

Qui était président, à la mort de RBG, le 18 septembre 2020 ? Eh oui, Donald Trump, 46 jours avant l’élection présidentielle qu’il allait perdre. Mais la mort de Mme Ginsburg donnait au président Trump le droit de combler un autre siège à la Cour suprême : il a nommé la très, très conservatrice Amy Coney Barrett, une amie personnelle de Jésus.

Si RBG avait choisi de se retirer au plus fort de la présidence d’Obama, disons dès le début du mandat de ce dernier quand il avait une confortable majorité parlementaire, Obama l’aurait remplacée par un ou une juge que la Bible n’inspire pas juridiquement. Si Mme Ginsburg s’était retirée en 2008, à 75 ans, un âge tout de même vénérable, elle aurait été assurément remplacée par un juge libéral ou une juge libérale.

Mais non. RBG s’est accrochée, accrochée et accrochée, pour mourir de vieil âge sous un président républicain qui l’a bien sûr remplacée par Mme Barrett, une juge qui va assurément voter pour limiter le droit des femmes à disposer de leur corps dès qu’elle le pourra.

Je sais, je sais ! Les mêmes sénateurs républicains qui avaient refusé d’enclencher la procédure d’homologation du juge Merrick Garland que Barack Obama souhaitait voir à la Cour suprême sous prétexte que c’était trop près de l’élection présidentielle (huit mois plus tard) de 2016 n’ont pas hésité à approuver la juge Amy Coney Barrett à un mois et demi de la présidentielle de 2020…

J’ai convenu dès le début de cette chronique que les républicains sont perfides.

Mais ils gagnent des élections. Et ils nomment les juges qui font le droit. Et qui donneront peut-être le droit de dire aux États de l’Union : vous pouvez interdire l’avortement.

Les démocrates ont des outils pour répliquer à la perfidie des républicains. Ils auraient pu décider de créer (ou menacer de créer) quatre postes de juges supplémentaires à la Cour suprême, par exemple. L’establishment démocrate (le président Biden en tête) a décidé que c’était extrême.

La gauche américaine joue selon les règles ; la droite américaine veut gagner, juste gagner. Les boyscouts démocrates se font bouffer par les républicains.

Face à des adversaires qui les traitent en ennemis, les démocrates continuent de penser qu’il faut respecter le décorum, que le bon sens prévaudra, comme s’ils vivaient dans un épisode de The West Wing, où la dignité finissait toujours par triompher à Washington. Cette série, faut-il le rappeler, était de la fiction.