Le ministre de la Justice et procureur général du Québec, Simon Jolin-Barrette, nous a appris deux choses mercredi.

Un : il confirme indirectement la nouvelle de mes collègues Larouche et Renaud : le « procès fantôme » concerne une enquête de la GRC et des procureurs fédéraux.

Il ne l’a pas dit ainsi. Il a dit que le dossier ne concernait pas le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec. Ce qui, par défaut, nous mène chez les procureurs fédéraux – car ce genre d’affaire « grave » n’émane pas de la cour municipale, on s’entend.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et procureur général du Québec

Deux : le ministre a annoncé la seule bonne décision qui s’impose actuellement : les avocats du Ministère vont se rendre devant la Cour d’appel du Québec pour faire lever le plus possible le secret entourant ce procès sans numéro, sans nom de juge, sans date et sans lieu.

Question-réponse : Qu’en est-il du procureur général du Canada ? Le ministre David Lametti lui aussi doit intervenir sur cette question de principe de toute urgence.

Les procès ne sont pas publics « pour les médias ». Ils sont publics pour être vus, pour être eux-mêmes jugés par le public. Pour qu’on en vérifie l’honnêteté. Pas de publicité, pas de vraie justice.

Il fallait entendre le juge en chef de la Cour supérieure, Jacques Fournier, mercredi à Midi info (Radio-Canada), « abasourdi » devant ce « jamais vu ». Un « œil au beurre noir » pour la justice, a-t-il dit.

La cause émane apparemment de la Cour du Québec, muette à ce sujet.

Pour avoir parlé à des sources à tous les paliers judiciaires, personne ne comprend, personne ne digère cette histoire.

Comment un juge a-t-il pu tenir un procès à ce point secret, au point de ne même pas entendre les témoins directement au palais de justice ?

D’un côté, c’est extrêmement bizarre et sans précédent connu.

De l’autre, ce n’est pas si étrange. Je veux dire : je ne suis malheureusement pas si étonné.

Dans le coin droit, vous avez un indicateur de police qui a infiltré le milieu criminel, qui est un membre du crime organisé lui-même apparemment, pour donner de l’information à la police. Il risque sa vie et il a droit au plein anonymat. On devine qu’un procès public racontant ses crimes et trahisons ne fait pas son affaire. Plus ce sera secret, mieux ce sera pour lui. Son avocat plaidera donc pour le secret total.

Dans le coin gauche, vous avez le procureur fédéral qui est en train d’accuser un indicateur ayant travaillé pour l’État pour combattre le crime. Il ne veut pas brûler les enquêtes de cet indicateur. Il ne veut pas non plus envoyer le message dans le milieu criminel qu’on peut faire un « deal » avec la Couronne et se retrouver au banc des accusés. Pas de la bonne pub.

Comprenez qu’en temps normal, on prend soin de ses indics ; ils ont retourné leur veste pour l’État ; on ne veut pas les accuser, on veut utiliser leurs informations. C’est donc une relation qui a mal, très mal tourné entre la police et l’indicateur. La police non plus ne paraît pas forcément bien dans tout ça : cet individu à qui on a donné de l’argent pour faire accuser des gens se trouve à être lui-même tellement croche qu’on l’accuse. Ça peut avoir des conséquences sur d’autres dossiers.

Pour le représentant de l’État, tout doit donc être le plus secret possible. Ce ne sera jamais assez secret !

Au final, ces deux avocats, poursuite et défense, ont des intérêts totalement opposés… sauf pour un truc : faut pas que ça se sache.

Je les imagine bien concocter un discours très inquiétant pour le juge, sur les conséquences gravissimes pouvant découler de la fuite de la moindre parcelle d’information.

Mais qu’ont-ils bien pu dire à ce juge pour lui faire peur au point qu’il ne voie même pas les témoins ? Pour qu’il cache son propre nom ?

Peut-être que le huis clos était justifié. On ne le sait pas. Mais en tout état de cause, rien ne peut justifier l’anonymat du juge, des avocats et des détails de base.

La Cour d’appel a bien dit que ce procédé était « exagéré » et contraire aux fondements mêmes de notre système… Mais elle n’a pas donné les justifications du juge anonyme. J’imagine qu’elles étaient insuffisantes.

Surtout, la Cour d’appel n’a pas corrigé la situation le moindrement.

Il est donc justifié et nécessaire d’envoyer les avocats du Procureur général demander de lever une partie du secret.

Mais qu’en est-il du procureur général du Canada, David Lametti ? Si le dossier vient du bureau des poursuites pénales fédérales, il doit prendre position et se présenter en cour lui aussi.

En fait, même si le dossier ne vient pas des procureurs fédéraux : c’est aussi la responsabilité du fédéral d’envoyer le message que ce genre de procès n’est pas tolérable au Canada.