On est au plus creux du mois de novembre dernier. Un ami m’écrit : écoute sans faute la nouvelle série de Will Smith sur YouTube, Best Shape of My Life.

Les six brefs épisodes racontent la remise en forme d’un gars de 53 ans. Il a pris du ventre pendant la pandémie en jouant Richard Williams, le père de Serena et Venus. Il veut perdre 20 livres en 20 semaines en s’entraînant comme un malade, tout en écrivant 20 chapitres de ses mémoires.

CAPTURE D’ÉCRAN TIRÉE DE YOUTUBE

Will Smith dans Best Shape of My Life

C’est à la fois vaguement ridicule et très touchant.

Ridicule, parce que, dès le point de départ, ce genre de défi un peu trop hollywoodien et un peu trop filmé est mal barré. Smith est suivi par un cortège d’entraîneurs personnels, nutritionniste, psychologue, équipe de tournage… qui le fouettent ou le cajolent au gymnase, à la piste, dans la cuisine… Ou décident de l’emmener à Dubaï en jet privé, où on le fait monter les marches du Burj Khalifa (gratte-ciel le plus haut au monde) comme si c’était l’Everest. Et autres trucs destinés à mettre un peu de « visuel » dans ce qui resterait un projet assez austère autrement.

Touchant, parce que Smith raconte le côté sombre de sa vie. Et à mesure qu’il avance dans ses mémoires, il en lit les nouveaux chapitres à son équipe et à sa famille devant la caméra. Et va de plus en plus loin dans les coins noirs de ce qu’a été vraiment son enfance.

Smith avait souvent parlé de son père, son idole, son héros, son formateur.

Willard Carroll Smith, vétéran de l’armée américaine, avait sa petite entreprise d’entretien de frigos commerciaux. L’acteur raconte que très jeune, après l’école, son père l’emmenait avec son frère à sa boutique, pour construire un mur de briques. Les enfants étaient découragés devant l’ampleur de la tâche. « Il nous disait : oublie le mur ; ta tâche, c’est de poser la prochaine brique à la perfection. »

Et le mur fut construit.

Jusqu’à ce que son père meure en 2016, et en fait jusqu’à l’an dernier, Smith a toujours parlé avec une immense admiration de son père. De son exigence. De sa rigueur. Il n’était pas question d’être autre chose que le meilleur, ou du moins d’être le meilleur possible. Il fallait « performer ». Tough love, comme on dit.

Ce qu’on apprenait dans cette série et dans ses mémoires, c’est que cet homme qu’il a admiré au-delà de tout autre est aussi celui qu’il a détesté plus que tout autre. Au point d’avoir voulu le tuer. Au point de vouloir se tuer.

Toute sa vie, Will Smith a vécu dans la peur et la honte. Peur des autres enfants. Peur de son père alcoolique et violent, surtout. Honte de ne pas lui avoir tenu tête.

L’évènement qui l’a « défini » est survenu quand il avait 9 ans. Quand il a vu son père frapper sa mère très fort. Elle saignait. Il était trop petit, il n’a pas pu protéger sa mère. Elle a quitté son mari quelques années plus tard.

Quand son père était en train de mourir d’un cancer, Smith raconte qu’en le menant de sa chambre à la salle de bains en fauteuil roulant, il a pensé le faire tomber « accidentellement » dans l’escalier. Pour venger sa mère.

Je ne raconte pas tout ça pour que l’on s’apitoie sur le sort de Smith. Frapper quelqu’un est un acte criminel ici comme à Los Angeles, comme n’importe où. Même si la victime a fait une sale blague sur la calvitie de sa femme Jada Pinkett, due à une maladie. La « provocation » n’est pas une justification ni une défense en droit (encore que ça peut transformer un meurtre en homicide involontaire dans certains cas).

Mais pour l’avoir vu en direct, avec le son coupé qui a suivi l’« incident », j’ai été frappé par un truc : Smith riait de la blague de Rock (que je n’avais pas comprise) ; mais Jada Pinkett roulait des yeux et ne la trouvait pas drôle du tout.

Que s’est-il passé pour que trois secondes plus tard, il se lève et aille gifler Rock sur la scène ? Il s’est passé qu’il a vu sa femme blessée par cet humour cheap. Il n’a pas voulu se sentir lâche encore. C’est comme si 40 ans d’impuissance et de honte s’étaient levés d’un coup.

La violence n’est pas le produit d’une génération spontanée.

Alors cet homme qui, même s’il a perdu ces 20 livres, en pèse plus de 200, est allé donner une baffe à un beaucoup plus petit que lui.

Certains voudraient nous faire choisir entre deux camps. Faux dilemme. Une blague, aussi lâche soit-elle (rire d’une maladie est dans cette catégorie), ne justifie évidemment pas de frapper quelqu’un. Will Smith n’avait pas vraiment le choix de présenter ses excuses lundi soir.

Le courage aurait été de répondre avec des mots – d’autres mots que cette supposée mission divine de protéger sa famille qu’il a invoquée tristement.

C’est la lâcheté qui l’a emporté.