Ça vaut quoi, une vie ? Qu’est-ce qu’on accepte de sacrifier de notre liberté pour sauver une vie ? Notre vie… ou celle d’un inconnu ? D’un jeune ou d’un vieux ?

On ne s’est pas posé aussi crûment la question au début de la pandémie. Vous souvenez-vous, on parlait d’une « guerre » ?

Mais on en revient à ça, au fond, deux ans plus tard. Au tout début, on parlait de protéger « les plus vulnérables », mais personne ne savait vraiment s’il n’était pas lui-même à risque.

La peur s’est comme diluée au fil des mois, des vaccins et des variants.

Je vais poser la question de manière moins personnelle : qu’est-ce qui est politiquement acceptable comme privation de liberté pour « le bien commun » ?

La réponse varie d’un pays à l’autre. Le Québec, la Corée et le Texas ont répondu très différemment à ces questions vitales.

Et, dans un État donné, la réponse varie avec le temps. Ce qui était acceptable il y a deux ans, quand les victimes avaient un nom, un visage, une histoire, ne l’est plus deux ans plus tard ici même.

Je ne suis même pas en train de remettre en question la réouverture de « toute », la fin des masques et du passeport vaccinal.

Je nous observe, tout simplement. J’essaie de nous regarder aller. On est tellement contents ! Enfin, un peu d’air !

Pourtant, avec les données d’aujourd’hui, le Québec d’il y a deux ans serait à moitié fermé. Il y a encore plus de 1000 personnes dans les hôpitaux pour cause de COVID-19. C’est arrivé pendant la première vague, du 16 avril au 5 juin 2020. Puis, du 26 décembre 2020 au 5 février 2021.

Dans la vague actuelle, ça fait deux mois et demi qu’il y a plus de 1000 patients COVID-19 hospitalisés (on a dépassé les 3400 au sommet), ce qui en soi est un record de durée. Le nombre diminue, mais pas si vite. Et déjà, une nouvelle vague est mesurable en Europe dans les hôpitaux – donc bientôt ici aussi, si on se fie à l’histoire sanitaire.

Ça, nos experts le disent, notre gouvernement le sait, et nous, on s’en doute, même si on ne veut pas trop le savoir.

Bien sûr, le vaccin change bien des choses. Les traitements aussi. On meurt moins. Mais on meurt encore. Dix, quinze, vingt personnes par jour en « creux » de vague, ce n’est pas rien.

Sauf qu’on n’a plus peur. Plus tellement. Ou peut-être, entre le risque de mourir et le prix de la privation de liberté, le curseur s’est déplacé avec le temps, avec l’usure, avec la tristesse. On ne peut pas être en deuil perpétuel. Un drapeau en berne fera l’affaire cette année.

Une vie sans se voir, sans se toucher, sans société, c’est acceptable un temps. Mais ce n’est pas ça, la vie, hein ?

Pourquoi la Floride et tant d’États américains n’ont-ils presque pas connu de restrictions, une fois passée la première vague ?

Pour des raisons politiques, dira-t-on. Ce n’est pas faux. À cause de la désinformation, aussi. Sans doute.

Mais pourquoi cette politique et cette désinformation ont-elles pris racine si bien dans certains États et pas dans d’autres ? Il faut peut-être regarder la société… le rapport à la « liberté ». À l’individualisme. On pourrait, il me semble, faire une corrélation entre le port obligatoire du casque de moto et la sévérité des mesures sanitaires dans les États américains. Entre le taux local d’imposition (qui est la redistribution des revenus individuels vers l’État) et les restrictions de la Santé publique.

Les écoles sont fermées aujourd’hui à Shanghai, la plus grande ville de Chine – 27 millions d’habitants.

Pourtant, dans tout ce pays de 1,4 milliard d’êtres humains, on ne rapportait « que » 3400 cas dimanche. C’est plus que tout ce que le pays a connu depuis la première vague.

Je sais, on se méfie des données officielles chinoises. Certains ont pu croire que la frénésie de tests dont nous avons parlé pendant les Jeux olympiques, ou le personnel en combinaison de protection intégrale, était une sorte de spectacle sanitaire. Ça ne l’était pas. La Chine est réellement dans une logique de COVID zéro, et il y a eu très, très peu de cas relativement.

Si, par malheur, vous êtes dans un immeuble, un quartier ou une ville chinoise où quelques cas seulement ont été détectés, votre immeuble, votre quartier ou votre ville au complet (si les cas sont dispersés) seront bouclés. Et hop, tout le monde en file pour le test, la quarantaine, etc.

Les bénévoles des Jeux olympiques, testés quotidiennement dans notre « bulle », où aucun cas n’était détecté à la fin des JO, devaient quand même s’isoler trois semaines dans un motel à la fin des Jeux avant de retourner vivre dans leur appartement de Pékin, de l’autre côté de la clôture…

Vous me direz : on ne peut pas comparer un pays totalitaire à une démocratie constitutionnelle.

Justement, c’est ce que je veux faire. Observer notre rapport à la liberté. Notre tolérance à la privation de liberté.

En Corée du Sud, le gouvernement a maintenu une politique de zéro COVID-19 moins restrictive que la Chine, mais tout de même très rigoureuse pour un pays démocratique. Le nombre de cas a été minuscule, les morts, moins nombreuses qu’au Québec, pour une population six fois plus nombreuse.

Voilà qu’Omicron crée une flambée record – 350 000 cas par jour, du jamais-vu. Les restrictions s’abattent sur les commerces, le couvre-feu est décrété, etc.

On n’a pas partout le même rapport à la vie sociale, au « nous ».

Tiens donc, en Chine même, on commence à juger que la COVID zéro n’est plus tenable. Et certains parlent d’apprendre à « vivre avec le virus ».

Comme on a décidé de le faire ici même, juste un peu plus vite, sans savoir vraiment ce que sera la suite.

Deux ans plus tard, on ne calcule plus le risque de la même manière, et le mot « guerre » n’est plus d’actualité, vu qu’il l’est un peu trop.