En marge des horreurs commises parce que la Russie a décidé de faire ce que les grands pays font si bien – de l’ostentatoire mesurage de graine géostratégique –, il y a le courage, le courage brut à hauteur d’hommes et de femmes.

C’est un mot galvaudé, « courage ».

Mais il y en a à la pelletée, ces jours-ci, en Ukraine. Ça force l’admiration.

Il y a d’abord cette histoire que je croyais fausse, parce que trop belle pour être vraie. Elle l’est, pourtant1 : deux navires de guerre russes se sont approchés de l’île des Serpents, dans la mer Noire, un bout de roche appartenant à l’Ukraine gardé par 13 gardes-frontières ukrainiens.

Le navire-croiseur a donc communiqué avec les Ukrainiens qui veillaient sur l’île des Serpents par ces mots : « Je suis un navire de guerre russe. Je vous demande de déposer les armes et de vous rendre pour éviter un bain de sang et des morts inutiles. Sinon, vous allez être bombardés. »

Il y a eu un silence. Puis une réponse, en provenance de l’île des Serpents : « Navire de guerre russe, allez vous faire foutre. »

Le croiseur Moskva a utilisé ses canons de 30 mm pour tirer sur l’île. Les 13 Ukrainiens sont morts. Le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, les a décorés à titre posthume du titre de héros de l’Ukraine.

PHOTO FOURNIE PAR L'AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

Côté courage, il y a aussi le président Zelensky lui-même. Il y a quelques jours, les Américains ont sonné l’alarme à propos d’une kill list – une liste d’Ukrainiens à tuer – qui serait dans les coffres des Russes. Ça tombe sous le sens, dans la vision du monde Poutine : ça fera moins de chialeux, quand l’Ukraine sera soumise à la volonté du Kremlin.

Jeudi, Zelensky a annoncé qu’il était au sommet de cette liste, selon le renseignement ukrainien. En deuxième place : sa famille.

Et pourtant, jusqu’à maintenant, il est toujours là, en Ukraine. Nul doute que le président aurait pu fuir et sans doute que cette fuite serait compréhensible. La France a publiquement émis des inquiétudes quant à sa survie. Rien n’indique que le président ukrainien va fuir. Et c’est dans la dignité qu’il s’est adressé aux Russes (en russe), la veille de l’invasion, les exhortant à dire haut et fort leur rejet de cette agression…

Bien sûr, dans la dictature russe, la vidéo du président Zelensky peine à percer le rideau de fer de la censure.

Puis, vendredi, Zelensky a demandé aux habitants de Kiev de commencer à fabriquer des cocktails Molotov en vue du siège. On en est là : inciter les citoyens à se défendre contre une des plus puissantes armées du monde avec des armes artisanales. Ça ne peut pas bien finir.

Personne ne se fait d’illusions sur l’issue de cette guerre. La Russie est trop puissante pour ne pas renverser le pouvoir ukrainien, laissé sans assistance par les démocraties du monde. Tout ce que l’Ukraine peut espérer, c’est infliger suffisamment de dommages aux Russes – tuer suffisamment de soldats – pour que l’opinion publique russe commence à se rebeller contre le dictateur Poutine.

L’armée russe est d’une terrifiante efficacité, mais les volontaires ukrainiens partent quand même au front, trouvent des armes pour apporter leur contribution. Ils doivent être terrifiés. Mais ils y vont. On a vu les photos, on a vu les vidéos : ils sont des milliers à répondre à l’appel de la mobilisation des 18 à 60 ans.

Et, vendredi, l’État ukrainien, qui vit sans doute ses dernières heures comme État libre, a lancé un appel aux 60 ans et plus capables de prendre les armes.

L’Ukraine était-elle une menace à la sécurité de la Russie ?

J’ai de la misère à voir comment.

Quand t’es obligé d’inventer la nazification de ton voisin, comme Poutine l’a fait, c’est que t’es dans la fiction. Sur le spectre du mensonge d’État, t’es à côté des armes de destruction massive (et fictive) prétextées par les États-Unis en Irak, il y a 19 ans.

La différence, c’est bien sûr que les citoyens américains ont pu dire que Bush était un menteur sans risquer de se faire balancer du haut d’un balcon du quatrième étage, sans risquer de se faire empoisonner ou emprisonner, comme c’est le cas pour les Russes qui dénoncent Poutine un peu trop bruyamment.

La dictature russe a envahi sa voisine, un État démocratique – l’Ukraine est une démocratie imparfaite, bien sûr, en développement, mais une démocratie quand même, surtout si on la compare à la Russie.

J’entends ici et là quelques voix indécentes qui chipotent, même ici, qui disent : « Oui, mais… », pour justifier l’invasion, des bémols qui ressemblent souvent non pas à des explications, mais à des justifications.

Avez-vous remarqué que ceux qui soutenaient les occupants antisanitaires d’Ottawa ont tendance à trouver des excuses à Poutine, à justifier son agression contre une démocratie ?

Curieux hasard.

Ce sera pour une autre chronique.

Le mot « courage » est galvaudé, on l’utilise à toutes les sauces dans nos sociétés si pacifiées. Le mot courage en ukrainien se dit cміливість, ce qui se prononce smilyvist. L’Ukraine est actuellement profanée, mais il y a beaucoup de courage au mètre carré, chez les résistants, un autre mot galvaudé sous nos tropiques…

Il y a du courage aussi en Russie. Manifester est un sport dangereux, en Russie. Quand on manifeste à Moscou, on n’a pas le temps d’installer un spa gonflable sur la place Rouge qu’un flic vous tire déjà par les cheveux vers le panier à salade, cependant qu’un de ses collègues vous varge dans les jambes avec sa matraque…

Dans les manifs, en Russie, les arrestations ne se font pas après trois semaines de party dans la rue, c’est plutôt une question de minutes, parfois de secondes. Et c’est un risque réel à sa sécurité et à sa liberté. C’est comme ça, dans les dictatures.

Et pourtant, malgré le black-out médiatique, malgré les risques, des milliers de Russes ont bravé le danger et ont manifesté pour dire leur rejet de cette guerre d’agression menée par la dictature qui dirige leur grand pays.

Jeudi soir, il y avait déjà eu 1800 arrestations en Russie.

En russe, le mot courage se dit khrabrost’, xрабрость.

C’est un mot galvaudé, « courage ».

Mais pas toujours.

Lisez l’article dans le Washington Post (en anglais)