Quand on veut, on peut. Selon l’internet, Napoléon aurait dit cela, il y a assez longtemps.

Deux siècles plus tard, je propose une nuance. En environnement, il a raison. Mais en santé, c’est un peu plus compliqué.

Le contraste entre les deux enjeux est frappant.

Rapport après rapport, les mêmes recommandations reviennent pour la santé : améliorer les conditions de travail, régler la pénurie de main-d’œuvre, briser le corporatisme, inciter les médecins à collaborer davantage avec les autres professionnels, décentraliser la gestion, renforcer la première ligne et accélérer le virage vers les soins à domicile.

Malgré ce consensus, ça change lentement. Notamment parce que, même pour un gouvernement bien intentionné, ces objectifs sont difficiles à atteindre. Un bon exemple : le cercle vicieux des conditions d’emploi des infirmières – si elles sont moins nombreuses, leur charge de travail augmente, ce qui les pousse à quitter la profession, et alourdit encore plus les tâches de celles qui restent.

En environnement, c’est différent.

Comme en santé, l’objectif fait consensus – tous les partis veulent, à divers degrés, réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais les moyens sont connus et plus faciles à appliquer.

Il faut réduire les émissions des transports en diminuant le nombre, la taille et le kilométrage des véhicules à essence. Forcer les constructeurs à offrir plus de véhicules verts, subventionner à la fois les modèles neufs et usagés, et financer le tout en taxant les véhicules énergivores. Et aussi freiner l’étalement urbain, promouvoir les transports actifs et investir plus dans le transport collectif que dans les routes.

Il s’agit d’un mélange de carottes et de bâtons, de règlements et de mesures fiscales. Ils ne dépendent pas d’une culture de travail ou d’une négociation avec un syndicat.

Le gouvernement peut agir, seul et vite.

Or, le gouvernement caquiste s’obstine à maintenir son règlement sur l’offre électrique. Ses échappatoires le rendent bidon. De l’aveu du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, il n’aura aucun effet avant 2030. Les émissions de GES ne diminueront que de 13 % d’ici là.

Or, la cible pour l’ensemble du Québec est une réduction de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990.

La conséquence : les autres secteurs, comme les entreprises, devront faire des efforts presque impossibles pour atteindre cet objectif.

Pour le dire de façon plus directe : on est en route vers l’échec.

François Legault, lui, voit le verre à 13 % plein.

« Est-ce qu’on peut être un petit peu fiers ? », a-t-il lancé aux libéraux, aux péquistes et aux solidaires.

Le premier ministre n’a pas tort ; le Québec émet moins de GES par habitant que les autres provinces canadiennes et les États américains. Les exportations d’Hydro-Québec en Nouvelle-Angleterre sont également une réussite collective.

Reste que le Québec pollue tout de même un peu plus que la moyenne de l’OCDE⁠1. Si tout le monde imitait le Québec, l’humanité échouerait à limiter le réchauffement sous les 2 °C.

Cela ne mérite pas de party. Même pas un tout petit.

Puisque l’heure est aux débats binaires, voici une précision inutile : non, je ne propose pas la honte nationale.

Je préfère formuler une autre demande : peut-on être un petit peu honnêtes aussi ?

Par sa réaction, M. Legault suggère que le Québec n’a pas besoin d’en faire plus. S’il le formulait clairement, cela aurait au moins le mérite d’être une proposition franche.

Le problème, c’est qu’il continue de laisser entendre que la cible de 2030 sera atteinte.

S’il la trouve trop exigeante, qu’il la change.

S’il prévoit l’atteindre quelques années plus tard et que cela ne le dérange pas, qu’il le dise.

S’il préfère garder cette cible sans rien faire de plus, en espérant que l’écart sera comblé par des innovations technologiques ou par des décisions à venir des municipalités et du fédéral, là encore, qu’il le dise. Et qu’il ne se plaigne pas si jamais le gouvernement Trudeau le force à hausser le prix plancher de son marché carbone.

M. Legault a raison de rappeler que sous le gouvernement Couillard, les émissions de GES sont restées à peu près stables. La cible de 2030 devient donc plus difficile à atteindre. Mais comme pour son prédécesseur libéral, l’environnement n’est pas une priorité du premier ministre caquiste. Sinon, il agirait autrement.

Électrifier le parc automobile n’est pas si complexe, comme l’a prouvé le Danemark. En 2016, à peine 1 % des véhicules vendus au pays étaient électriques. Aujourd’hui, ce taux dépasse 58 %. Et en Norvège, il atteint plus de 66 %.

Pendant que le gouvernement caquiste prépare une « refondation » du système de santé, il n’a pas l’ambition de brasser la cage en environnement.

M. Legault a été élu en 2018 avec la promesse de réduire le fardeau fiscal. Même si sa réforme de la taxe scolaire profitait surtout aux propriétaires fortunés, il se vantait de défendre le monde ordinaire.

Il refait le coup avec l’environnement.

Les caquistes en font une bataille culturelle entre les élites urbaines déconnectées et le peuple qui habite en banlieue ou en région. Les chiffres disent autre chose.

Au Canada, le 1 % le plus riche pollue 19 fois plus que la moitié la plus pauvre de la population⁠2. L’effort exigé dans la crise climatique ne devrait donc pas être le même pour tous.

De nombreux mécanismes permettent de lutter à la fois pour la justice sociale et pour l’environnement. Par exemple : un programme à coût nul qui subventionne les modèles électriques neufs et d’occasion à partir des revenus d’une taxe imposée aux modèles énergivores (en épargnant les véhicules commerciaux et les familles nombreuses). Demander quelques dollars de plus à un propriétaire de VUS Porsche ne devrait pas provoquer une crise locale des gilets jaunes.

Vrai, ce n’est pas facile à vendre en campagne électorale. Mais c’est plus facile à faire que réduire le temps d’attente aux urgences.

En environnement, on ne peut pas dire que les solutions sont complexes ou inconnues. Elles n’exigent qu’une vertu aussi rare que précieuse : la volonté.

⁠1 Les émissions au Québec sont de 9,9 tonnes de GES par habitant. La moyenne de l’OCDE est de 8,8. Le Canada a le pire résultat (15,5), à égalité avec l’Australie (15,5). Les États-Unis (15,2) sont aussi en queue de peloton.

Lisez le rapport GES 1990-2019 du gouvernement du Québec Consultez les données de la Banque mondiale

⁠2 Selon le World Inequality Database. Mon collègue Francis Vailles en a parlé en décembre.

Lisez la chronique « Un budget carbone pour discipliner les riches »