De l’idéalisme amoché en Afghanistan, de l’enthousiasme retrouvé à Longueuil, une victoire scientifique qu’on tient déjà pour acquise, un héros invisible et du réconfort au fond d’une échoppe de Tokyo. Fragments de l’année 2021.

L’illusion perdue

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Scène de chaos à l’aéroport de Kaboul, le 23 août dernier, dans la foulée du retrait américain et de la chute du gouvernement afghan

Pas que j’aie cru aveuglément au concept de « Nation building ». Ni que j’aie pensé qu’une offensive militaire en 2001 contre Al-Qaïda effacerait le régime des talibans. N’empêche : la retraite accélérée des troupes américaines et la décomposition instantanée des forces de l’ordre afghanes, 20 ans plus tard, sont une illusion perdue. Celle de croire qu’on peut installer un régime à peu près démocratique de l’extérieur. J’ai cru un temps qu’un État de droit était en train de se substituer aux talibans, et qu’avec l’appui des armées de l’OTAN, cet arbre pousserait comme avec un tuteur. L’obscurantisme semblait reculer, les femmes retrouvaient leurs droits. Ce qu’on a vu l’été dernier a montré que cet arbre n’avait pratiquement pas de racines.

Le changement de génération

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Fournier

Catherine Fournier avait déjà réussi le tour de force de se faire remarquer pendant la pandémie, malgré son simple statut de députée indépendante (ex-PQ). La voici, à 29 ans, mairesse de Longueuil, cinquième ville du Québec (250 000 habitants). Un de ses premiers gestes a été de se décréter une baisse de salaire. Comme pour dire plus clairement : je suis ici pour servir, pas pour me servir. Dans un domaine politique largement déserté par les électeurs, elle est la preuve vivante de l’émergence d’une relève politique, d’un renouveau du personnel, de l’enthousiasme et de l’optimisme.

La chose que j’ai déjà oubliée

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Vaccination d’une travailleuse de la santé au CSSS Saint-Henri, en janvier 2021

Il y a un moment où il n’y avait même pas de vaccin. Ça semble flou, ce temps, déjà, non ? Presque personne n’était vacciné, début 2021. Tout est arrivé si vite, scientifiquement parlant, mais tout a paru si long, humainement parlant.

L’autre chose que j’ai oubliée

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Cole Caufield, Josh Anderson, Jeff Petry et Shea Weber lors d’un match de la finale de la Coupe Stanley, le 5 juillet dernier

Est-ce que le Canadien a fait les séries ?

Le héros

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Robert Miller

Mayfield, Kentucky. Le gars s’appelle Robert Miller. Il a 28 ans. Il veut absolument me montrer la maison de transition dont il s’occupe. Cinq gars vivaient avec lui. Ex-détenus, pour toutes sortes de crimes. Comme lui. « Quand j’étais à Cincinnati, je me suis mis dans le trouble… C’est pour ça que je suis venu vivre ici, une petite ville tranquille. »

« Règles de la maison : pas de caprices, pas de chialage, pas d’hypocrisie », peut-on lire sur une affiche de ce qui reste de la maison.

Le 10 décembre, quand la tornade s’est amenée, il s’est souvenu des émissions sur les tornades qu’il écoutait, petit ; il s’est souvenu de ce que sa mère disait. Il a pris trois matelas. Il a ramassé les gars et les a tirés de leur lit pour les emmener avec lui dans un placard. Ils se sont recouverts des matelas. Les deux tiers de la maison ont été arrachés. Ils sont sortis de là indemnes. Sans abri, mais vivants.

Un ancien toxico qui protège cinq ex-détenus, un soir de tornade où tant de gens étaient à sauver, ce n’est pas de ceux qui reçoivent des médailles de bravoure.

Mais c’est ça qu’il fait maintenant dans la vie : aider des gens à vivre et à survivre. Un héroïsme d’autant plus discret qu’il est dans sa définition de tâches. Tout naturel.

Le plaisir coupable

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Rue piétonne du quartier Ikekuburo, à Tokyo, l’été dernier pendant les JO

Aux Jeux de Tokyo, doublement vacciné, doublement testé avant de partir, testé à l’aéroport, puis chaque jour au début, et tous les deux jours ensuite, il nous était permis de marcher une quinzaine de minutes hors de l’hôtel… avant la libération totale au bout de 14 jours.

Mais bon, en marchant, on a des tentations… Était-ce le 11jour ? Je ne saurais le jurer. Mais il y avait cette échoppe dans une ruelle où les effluves de bouillons de ramen ont vaincu ma résistance.

Oui, j’avoue, j’ai fait glisser la porte coulissante. La petite salle était vide. Le chef est sorti de derrière les vapeurs de ses chaudrons. Il m’a montré les photos sur le mur. Je voulais la numéro quatre, mais avec deux œufs, comme dans la numéro cinq. J’ai pointé l’une, et les œufs dans la seconde, j’ai fait un deux avec mes doigts, croyant me faire comprendre par ce mauvais langage des signes qui était notre seule langue commune. Deux minutes plus tard, il m’a présenté deux soupes : deux fois la cinq.

J’ai mangé les deux.

Je n’ai rien regretté.